Après avoir placé la France en première ligne sur le dossier de la crise syrienne, en légitimant la nouvelle structure de l’opposition, François Hollande doit maintenant convaincre les Occidentaux de livrer des armes aux rebelles. Décryptage.
En adoubant, mardi 13 novembre, la nouvelle coalition de l’opposition syrienne, créée deux jours plus tôt au Qatar, François Hollande a placé la France en pointe sur le dossier syrien. Première puissance occidentale à avoir reconnu cette coalition comme "la seule représentante du peuple syrien" et surtout "comme le futur gouvernement provisoire de la Syrie démocratique", Paris a pris de vitesse ses partenaires occidentaux, dont certains se montrent plus prudents.
Ainsi, le président américain, Barack Obama, a affirmé, mercredi, qu'il n'était pas prêt "à reconnaître l'opposition syrienne comme gouvernement en exil", préférant la qualifier comme "une représentation légitime des aspirations du peuple syrien".
Le chef de l'opposition syrienne reçu samedi à l'Elysée
François Hollande recevra samedi à l'Elysée le président de la nouvelle Coalition de l'opposition syrienne, cheikh Ahmad Moaz al-Khatib, après avoir ouvert la voie à des livraisons d'armes à l'opposition, a-t-on appris jeudi auprès de la présidence française.
La rencontre avec le chef de la Coalition de l'opposition syrienne, reconnue mardi par le président Hollande comme "seule représentante du peuple syrien", aura lieu à 11H00, a-t-on précisé de même source. (AFP)
"Les rebelles ne sont pas prêts de recevoir des armes"
Au niveau européen, la légitimation ou non de cette nouvelle structure devrait se décanter dans les prochains jours puisqu’elle sera discutée lundi à Bruxelles par les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept. Cette étape est décisive car elle est liée à celle, encore plus cruciale, de l’armement des rebelles syriens. François Hollande l’a lui même indiqué lors de sa conférence de presse à l’Élysée en précisant que la question de l’armement des rebelles sera "nécessairement reposée, pas simplement à la France, mais à tous les pays qui reconnaîtront ce gouvernement". Jusqu’ici, les Occidentaux ont toujours fait de l'unification de l'opposition syrienne une condition pour lui livrer des armes, de crainte de les voir tomber aux mains d’extrémistes liés à la nébuleuse Al-Qaïda tandis que Paris, de son côté, se contente d’expédier des matériels non létaux, comme des appareils de vision nocturne et de communication cryptée.
"S’il s’agit simplement d’une reconnaissance politique, la crise en Syrie pourrait perdurer, voire empirer, tant le rapport de force est déséquilibré entre le régime et les rebelles, explique à FRANCE 24 Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l'université de Cergy-Pontoise. Car, rappelle ce spécialiste du Proche-Orient, "les responsables de l’opposition et les combattants attendent surtout des actions très concrètes, tel que des livraisons d’armes, qu’ils réclament depuis très longtemps maintenant".
En rouvrant le débat sur cette question ultra-sensible, la France prend cependant le risque de se heurter à de nombreux obstacles. Cette annonce "ne va pas bouleverser à très court terme la donne en Syrie, les rebelles ne sont pas prêts de recevoir des armes tant les complications sont nombreuses", confie à FRANCE 24 une source diplomatique française proche du dossier, qui a requis l’anonymat. Et d’ajouter : "À moins que Paris ne passe outre la légalité, ce qui est peu probable". La France est en effet tenue de respecter un embargo de l'Union européenne qui interdit depuis 2011 toute forme de livraison d'armes à la Syrie, qu’elles soient destinées aux rebelles ou au régime. Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a reconnu, jeudi, que cette question ne pourra se régler "qu'en coordination avec les Européens".
Washington inflexible
Et pour cause, pour défaire ce texte et lever cet embargo, il faut que les 27 pays de l'Union européenne "s’accordent à l’unanimité sur un autre texte, au nom du parallélisme des formes, ou bien de le modifier en introduisant des exceptions", explique-t-on du côté du Quai d’Orsay. Et si un Conseil des ministres des Affaires étrangères est prévu le 19 novembre à Bruxelles, "la question des armes n’est pas à l’ordre du jour des discussions officielles, même s’il n’est pas exclu que des consultations puissent y être entamées en coulisse", laisse-t-on entendre du côté du ministère des Affaires étrangères.
Toutefois, la marge de manœuvre de la diplomatie française semble étroite car l’Allemagne, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a exprimé son souhait que les "détails de l'appui à donner" à la nouvelle coalition soient discutés dans le cadre du groupe des "Amis de la Syrie", à Marrakech, au Maroc. Soit pas avant la mi-décembre.
De son côté Washington refuse de se pencher sur la question. "Nous sommes sur nos gardes, particulièrement lorsque nous commençons à parler d'armer des responsables de l'opposition, afin de ne pas mettre d'armes entre les mains de gens qui pourraient porter atteinte aux Américains ou aux Israéliens", a insisté, mercredi, le président des États-Unis.
Pour Ignace Leverrier, ancien diplomate en poste à Damas et auteur
du blog très documenté Un œil sur la Syrie, hébergé sur
le site du journal Le Monde, l’heure n’est plus aux atermoiements. "La France a raison d’accélérer le rythme sur l’armement car il est contradictoire de demander à l’opposition syrienne de s’unir et de tergiverser une fois que cela est fait car, à terme, les messages antinomiques envoyés par les Occidentaux auront des répercussions désastreuses sur le terrain", souligne-t-il.
Selon lui, plus l’aide promise aux rebelles tarde à arriver, plus la porte restera ouverte aux radicaux et aux djihadistes étrangers qui se sont invités en Syrie. "Même s’ils sont indésirables dans le pays et que la population s’en méfie, ils profitent de ces atermoiements en disant : nous au moins, au lieu de faire des promesses, on se bat à vos côtés et en première ligne de surcroît", explique-t-il.
Ce spécialiste de la Syrie estime toutefois qu’il reste de la place pour l’optimisme. "Il faudra certes du temps pour que des armes soient livrées, mais si la coalition de l’opposition fait rapidement preuve de sérieux et d’unité, cela pourrait accélérer les choses et la communauté internationale sera bien obligé de réagir".