
Chassés courant octobre de leur "zone à défendre" par les forces de l’ordre, les opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, dans l'ouest de la France, radicalisent leurs actions. Et gagnent le soutien d'autres militants.
Le problème n’est pas nouveau à Notre-Dame-des-Landes. Depuis près de 40 ans, les pouvoirs publics, épaulés par la gauche et la droite, veulent implanter un aéroport au beau milieu des champs de cette région nantaise. Des groupes constitués d’agriculteurs et d’habitants, directement menacés d’expropriation en cas de mise en œuvre du projet, s’y opposent depuis toujours. Ils ont été rejoints au fil des ans par des militants de tous poils.
La "zone d’aménagement différé" (ZAD), délimitée par les aménageurs, est devenue, en langage militant, une "zone à défendre" : c’est là que des squatteurs ont élu domicile il y a trois ans. Leur but, au-delà de l’opposition à l’aéroport : montrer qu’un mode de vie alternatif est possible loin du système capitaliste et du bitume. Mais, depuis leur évacuation des lieux "manu militari" le mois dernier, leurs méthodes ont changé et des militants anticapitalistes sont venus grossir les rangs de la contestation.
Barricades et jets de légumes
D’un côté, le groupe Vinci et le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes, très attaché au projet. De l’autre, des locaux attachés, eux, à un bocage de près de 2 000 hectares. Perchés dans leurs cabanes, ou occupant des fermes inhabitées, ils ont mené leur combat pendant plusieurs années, vivant en autarcie. Jusqu’à récemment.
À partir du 9 octobre, des opérations d’évacuation ont été réalisées, et nombre de squatteurs, appelés désormais les "Hobbits", ont dû quitter les lieux malgré l’installation de barrages, dont des arbres coupés en travers des voies d’accès, afin de ralentir la progression de la police. Le dispositif policier, nommé "opération César", a placé les opposants au projet dans la position d'irréductibles Gaulois façon Astérix, résistant à l’envahisseur. Et leur sort n’a pas manqué de rallier de nouveaux soutiens, dont des anticapitalistes venus d’autres pays européens pour prêter main forte aux récalcitrants. Un tournant dans la lutte jusque-là pacifique. Des tranchées ont ainsi fait leur apparition, et des jets de légumes ainsi que des cocktails Molotov ont accueilli les forces de l’ordre sur les lieux. De nouveaux heurts ont également opposé le 7 novembre gendarmes et militants.
Effet boomerang
“Si le conflit est plus violent aujourd’hui, c’est uniquement le fait de la police,” indique Geneviève Lebouteux, conseillère régionale Europe-Écologie-Les-Verts (EELV) et membre du Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. “Vinci est dans l’illégalité, des maisons ont été démolies alors que juridiquement, le projet n’est pas totalement validé. Le gouvernement pratique une politique de la terre brûlée : il veut faire croire que le projet est bien avancé. Mais c’est raté. En vidant la zone pour faire taire la contestation, tout ce que le gouvernement a réussi à faire, c’est permettre au mouvement de prendre de l’ampleur.”
Une recrudescence vécue différemment selon les habitants. D'après Geneviève Lebouteux, pour ceux qui résidaient à l’intérieur de la zone concernée, la violence est quotidienne : "Je connais une agricultrice qui sort tous les jours à vélo pour aller voir ses vaches, et qui doit se plier à chaque fois à des contrôles d’identité par la police. Sans compter la ronde des hélicoptères au-dessus de la zone en question. Ces habitants-là sont blindés contre la violence. Cependant, les personnes extérieures géographiquement, même si elles sont opposées au projet d’aéroport, peuvent être plus troublées et gênées.”
"On habite tous sur la même planète"
Hantés de voir un futur tarmac à la place des actuels champs, les militants se battent également pour un idéal plus global. “Ce qui nous motive depuis le début, c’est le projet d’une société sobre, relocalisée, qui met tous ses efforts dans la recherche d’une moindre consommation énergétique,” avoue la conseillère régionale. Pour l'élue écologiste, le projet d’un aéroport est d’autant plus malvenu qu’un établissement existe déjà dans l’agglomération de Nantes. “L’aéroport actuel n’est utilisé qu’à 50 % de ses capacités. Il présente des problèmes mais rien n’est fait pour y remédier sérieusement étant donné que le gouvernement a dans la tête qu’il y en aura bientôt un second.” Le projet d'”Ayraultport”, comme il a été rebaptisé, a vocation à remplacer l'actuel aéroport nantais dès 2017.
Pour une militante récemment expulsée de son lieu d’habitation, la bataille de Notre-Dame-des-Landes fait écho à d’autres conflits sociaux. “Il se passe la même chose dans plein d’endroits : les immigrants qui sont refoulés à Calais, les Roms dont les campements sont démontés, les populations pauvres qui sont peu à peu écartées des centres-villes... Tout cela, c’est la même chose. Il ne suffit pas de vivre à Notre-Dame-des-Landes pour se sentir concerné par le problème. On habite tous sur la même planète, peu importe que les militants viennent de l’autre bout de l’Europe ou qu’ils aient grandi ici”, lance, sous couvert d'anonymat, cette habitante bien décidée à reprendre possession de sa maison au cours de la manifestation organisée le 17 novembre. Une journée de “réoccupation” qui annonce un nouveau face-à-face avec la police.