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"Certains refusent toujours de reconnaître l’indépendance algérienne"

Le vote de la loi instaurant une "journée nationale" en "mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie" le 19 mars, a provoqué une vive polémique. Jean-Luc Einaudi, historien et écrivain, revient sur cette controverse.

Le 19 mars est devenu officiellement la "journée nationale du souvenir" en mémoire de la guerre d’Algérie. Le Sénat a en effet définitivement adopté, jeudi 8 novembre, un texte socialiste que l’Assemblée nationale avait voté en 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin. En deux courts paragraphes, cette loi fait du 19 mars, date anniversaire du cessez-le-feu en 1962 en Algérie, une journée "à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc".

FN et UMP s’allient sur la question du 19 mars

Jean-Luc Einaudi souligne l’alliance contre-nature entre le Front national et l’UMP, sur la question du 19 mars. Le FN a été fondé en 1972 notamment par des partisans de l’Algérie française rejetant de Gaulle. Il a compté dans ses rangs plusieurs membres de l’OAS, l’Organisation secrète armée opposée à l’indépendance de l’Algérie, et auteur de l’attentat du Petit-Clamart en août 1962 qui visait à assassiner le général de Gaulle. "Quand je vois les alliances se former entre l’UMP [le parti se revendique héritier du gaullisme] et le FN, j’ai comme l’impression que les deux partis font allègrement l’impasse sur cet épisode de l’histoire", commente l’écrivain.

Loin de faire consensus, l’adoption du texte a provoqué une levée de boucliers, notamment de la part des rapatriés et des harkis, et profondément divisé les associations d’anciens combattants. L’UMP a ainsi dénoncé une loi "de division" dont l’objectif serait principalement diplomatique. "Le président de la République se rendra le mois prochain en Algérie, il semble que ce soit pour faire un usage diplomatique de ce texte qu'il en brusque l'examen", a ainsi affirmé la député UMP Joëlle Garriaud-Maylam.

Pour la majorité au contraire, ce texte "rassemble". "Le 19 mars est un moment de recueillement pour toutes les victimes qui ont œuvré dans le respect des lois de la République", a fait valoir le rapporteur socialiste Alain Néri. La Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie (Fnaca), forte de près de 350 000 membres, s’est rangée aux côtés du Parti socialiste, en rappelant son "attachement indéfectible" au 19 mars.

Jean-Luc Einaudi, historien et écrivain engagé, auteur notamment de "La Bataille de Paris", "publié en 1991, qui lança en France le débat autour des événements du 17 octobre 1961, revient pour FRANCE 24, sur cette polémique.


FRANCE 24 : Selon vous, pourquoi cette "journée nationale du souvenir", le 19 mars, fait-elle couler autant d’encre ?

Jean-Luc Einaudi : Le 19 mars 1962 marque l’entrée en vigueur des accords d’Évian, instaurant le cessez-le-feu en Algérie. Cette date est très officiellement celle de la fin de la guerre : c’est celle qui a été retenue en 1999 quand le Parlement français a reconnu l’existence d’une guerre en Algérie. Elle marque aussi la reconnaissance de l’indépendance algérienne [qui sera officiellement proclamée le 5 juillet 1962, ndlr]. Du point de vue de l’histoire, la fin de la guerre, c’est le 19 mars 1962. Pourquoi certains refusent cette date ? À mon avis, c’est parce qu'ils refusent toujours, 50 ans après, de reconnaître l’indépendance algérienne. Je pense que le problème de fond est là.

F24 : Les violences ne se sont pourtant pas arrêtées après la signature des accords d’Évian. C’est d’ailleurs le principal argument des opposants à cette "journée du souvenir" le 19 mars…

J.-L. E. : Ils disent qu’il y a eu des massacres à Oran en juillet 1962 ? C’est vrai. Ils avancent la question du massacre des harkis ? C’est une réalité historique. Les affrontements meurtriers de l’été 1962 entre les partisans du GPRA [Gouvernement provisoire de la République algérienne, ndlr] et de l’Armée des frontières de Houari Boumédiène sur le sol algérien, sont aussi une réalité. Il y a eu toute une série d’événements dramatiques qui se sont produits dans les mois qui ont suivi. Mais est-ce que ça remet en cause la fin de cette guerre ? Moi, je dis non. Pour les opposants à la date du 19 mars, quand la guerre finit-elle ? Ils ne le disent pas. Je les soupçonne même de croire que la guerre n’est pas finie.

F24 : Cette officialisation du 19 mars en tant que "journée du souvenir" a-t-elle un impact sur les relations franco-algérienne ?

J.-L. E. : Non, je ne crois pas. Il est possible, comme l’avancent ses détracteurs, que cette loi ait été votée en vue du voyage de François Hollande en Algérie [début décembre, ndlr]. Les chefs d’État ont toujours des raisons qui peuvent échapper au commun des mortels… Cela fait des années qu’il existe un conflit politique et mémoriel concernant cette date. Mais je ne suis pas sûr que ce soit déterminant du point de vue diplomatique. Je serais même tenté de dire qu’il s’agit là d’un enjeu franco-français. Ce qui est plus important aux yeux de l’Algérie, c’est la reconnaissance d’une domination coloniale sur le pays, des torts et des souffrances que cette colonisation a causés. Il y a eu un premier pas cette année avec la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 [une manifestation d’Algériens à Paris avait été réprimée dans le sang par les forces de l’ordre françaises, ndlr]. Mais je reste tout à fait vigilant quant à l’instrumentalisation politique de ces questions historiques.
 

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