La lutte contre la corruption, priorité nationale : tel a été, jeudi, le message principal du discours du président sortant chinois Hu Jintao. De belles paroles pour un terrible aveu d’échec.
“Si nous échouons à traiter la question de la corruption correctement, elle pourra s'avérer fatale pour le parti et l’État”. C’est un véritable cri d’alarme que le président chinois sortant, Hu Jintao, a lancé, jeudi, lors de son discours inaugural du 18e Congrès du PC chinois.
Certes, la sortie du numéro un chinois s’explique, notamment, par l’onde de choc médiatique de l’affaire Bo Xilai, cette star déchue du PCC accusée de corruption et d’abus de pouvoir. N’empêche, “cette prise de position officielle est une très bonne nouvelle”, assure à FRANCE 24 Liao Ran, responsable de la Chine pour Transparency International, une ONG qui lutte contre la corruption.
Mais c’est surtout un terrible aveu d’échec. L’histoire de la corruption se confond, en effet, en Chine avec celle de l’ouverture du pays à l’économie de marché en 1978, d’après un rapport rédigé en 2000 par l’économiste chinois He Zengke pour le Centre chinois d’études économiques et politiques comparées. Depuis cette époque, les formes de la corruption ont évolué. “Avec l’enrichissement et le développement de l’économie de marché, on est passé d’une ‘petite’ corruption à une corruption en col blanc”, souligne Liao Ran.
itAvant les années 2000, il s’agissait essentiellement de pots de vin qu’il fallait payer à l’instituteur, au policier ou à d’autres représentants de l’autorité publique. Avec l’explosion de la richesse, les pots de vin sont montés en gamme et concernent dorénavant l’obtention d’informations sur les finances d’entreprises ou encore des dessous de table pour l’obtention d’importants marchés publics.
Beaucoup de bruit pour rien
Les autorités n’ont fait de la lutte contre ces activités illégales une “priorité qu’au lendemain des événements sur la place Tian'anmen en 1989 inspirés en partie par un ras-le-bol vis-à-vis de la corruption”, écrit He Zengke, dans son rapport.
Depuis, Pékin a adopté plus de 1 200 lois, décrêts et directives pour tenter d’endiguer ce fléau. Le Parti communiste a même promulgué un texte, en 2012, interdisant aux responsables politiques d’acheter des biens de luxe avec de l’argent public. Beaucoup de bruit pour rien ou presque : 46% des Chinois pensent, en effet, que la corruption n’a jamais été aussi forte contre 25% qui estiment qu’elle est en recul, selon l’index 2011 de perception de la corruption de Transparency International, l’un des principaux outils de mesure de ce phénomène.
“S’il est clair que la colère populaire est de plus en plus forte contre la corruption, personne ne dispose de données fiables pour en évaluer avec précision l’étendue”, nuance cependant à FRANCE 24, Mary-Françoise Renard, directrice de l’IDREC (Institut de recherche sur l’économie chinoise). “Les meilleures estimations du coût économique annuel de la corruption varient entre 3% et 5% du PIB (soit entre 219 millions de dollars et 365 millions de dollars par an)”, précise Liao Ran. Pour d’autres, comme le directeur du programme de recherche sur la Chine du Carnegie Endowment for International Peace (think tank américain) Minxin Pei, ces pertes seraient encore plus colossales et pourraient atteindre 85 milliards de dollars par an.
Des révoltes populaires ont même éclaté ces derniers mois contre des dirigeants locaux accusés d’abuser de leur pouvoir et de détourner des fonds publics. L’un des soulèvements les plus emblématiques s’est déroulé entre septembre et décembre 2011 dans la ville de Wukan (sud-ouest de la Chine). Les habitants ont fini par y obtenir la démission du gouverneur local corrompu et la tenue de nouvelles élections.
Vision communiste du bien public
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On pourrait penser que le nombre de dignitaires du Parti communiste arrêtés pour corruption est un indicateur plus précis de l’évolution du phénomène et de la volonté des autorités de s’y attaquer. Il est passé en 1995 de 140 000 personnes interpellées à 170 850 en 2004.
Mais c’est une donnée à plusieurs tranchants. D’abord, parce que les poursuites judiciaires à la suite de ces interpellations sont, en fait, en baisse. Mais surtout il est “difficile de dire quelle est, dans ces affaires, la part de lutte contre la corruption et quelle est la part de volonté d’évincer des potentats locaux qui deviennent politiquement gênant”, reconnaît Mary-Françoise Renard. Même son de cloche chez Liao Ran : “Si l’arrestation de Bo Xilai est, par exemple, symbolique, on peut se demander pourquoi il a pu grimper les échelons du parti alors que tout le monde savait qu’il était corrompu depuis une dizaine d’années”.
Cet échec de la lutte contre la corruption serait dû “au fait que les autorités se voilent la face sur les raisons véritables de l’augmentation de ce fléau”, juge Liao Ran. Pour lui, c’est une triste histoire dans laquelle on retrouve des leaders qui ont embrassé les principes du capitalisme sans se débarrasser de la vision communiste du bien public et un système trop centralisé de perception des impôts.
“Pour les dirigeants de la deuxième génération [de responsables communistes, NDLR], l’État c’est eux et ils pensent avoir tous les droits sur les ressources publiques”, raconte Liao Ran. Ces responsables se retrouvent aujourd’hui à la tête des principales entreprises publiques et les gèreraient, d’après ce spécialiste, comme “leur chose” avec son lot de clientélisme, de gestion de fait et autres. “La corruption se retrouve avant tout dans les secteurs très liés à l’État comme les infrastructures et les services financiers”, confirme Minxin Pei.
Butin
Les élus locaux, de leur côté, sont poussés sur le chemin glissant de la corruption par un pouvoir central qui “accapare l’intégralité des impôts locaux sans rien laisser ou presque à ses représentants”, rappelle Liao Ran. Ces derniers vendent alors des terrains publics à des promoteurs immobiliers dans des conditions opaques pour se constituer un butin de guerre. C’est la raison pour laquelle la plupart des fortunes dans les années 2000 ont été amassées dans l’immobilier. “Tant que le Parti ne réformera pas ce système de collecte des impôts, il y aura toujours de la corruption”, tranche Liao Ran.
Une réforme qui n'était pas à l'agenda de Hu Jintao malgré ses beaux discours. “C’est pourquoi Xi Jinping [sucesseur annoncé de Hu Jintao, NDLR] suscite tant d’espoir car il symbolise la nouvelle génération de leaders chinois qui pourrait avoir la légitimité de remettre en cause un système qui, sous Hu Jintao, a fait passer la croissance économique avant la lutte contre la corruption”, juge Liao Ran.