L’État du New Jersey permet aux sinistrés de l’ouragan Sandy de voter, mardi, par email. Une méthode qui se heurte à des difficultés techniques et qui pose des problèmes de sécurité informatique.
L’intention était louable, mais le résultat vire, mardi, au couac électoral de dernière minute. Le gouverneur républicain du New Jersey, Kim Guadagno, a annoncé samedi que les sinistrés de l’ouragan Sandy pourraient voter par email le jour de l’élection présidentielle américaine, mardi 7 novembre.
Cette initiative semble couler de source pour un État comme le New Jersey qui permet, depuis 2008, aux militaires à l’étranger et aux expatriés de voter par email. Mais la mise en pratique à l’échelle de tout l’État s’avère bien plus poussive et présenterait d’évidents risques de sécurité.
Oh no! email box for Essex County Clerk's box is full. No one can email in their ballots cc .@corybooker .@obama2012 #sandy #election2012
— Anne Mai Bertelsen (@annemai) Novembre 6, 2012Sur Twitter, des électeurs américains qui se sont frottés à ce système ont commencé à se plaindre de problèmes d'acheminement des courriels. Apparement, les boîtes mises en place pour réceptionner ces votes d’urgence seraient déjà pleines. La plupart des adresses mail proposées par le comté d’Essex (New Jersey) ne répondent ainsi plus, a pu constater le site américain d’informations BuzzFeed. L’un des responsables d’un bureau de vote a même donné son adresse électronique personnelle pour tenter de parer à l’urgence.
Mais au-delà de ces contigences pratiques, c’est le principe même du vote par email qui hérisse le poil des experts en sécurité et autres défenseurs de la vie privée. “Les personnes qui votent ainsi perdent par définition la confidentialité de leur bulletin”, remarque Pam Smith, de l’association américaine Verified Voting Foundation qui s’oppose à ce type de vote.
New Jersey 2012, Floride 2000, même combat ?
“Le vote par email est le moyen électronique le moins sûr et protégé qui existe”, déplore de son côté Andrew Appel, un spécialiste de l’informatique à l’université de Princeton. Il cite, dans un billet de blog, le risque de voir une attaque informatique rendre inutilisables les ordinateurs qui recoivent les votes par courriels.
Sans préjuger des procédures de sécurité informatique mises en place en quelques jours, les risques sont énormes. “Les messages électroniques ne proposent aucune protection contre des modifications, des contrefaçons et autres manipulations”, renchérit Matt Blaze, un spécialiste américain de la sécurité informatique et de la cryptographie. Il ajoute que la plupart des électeurs qui ont recours à ce moyen de vote doivent utiliser des ordinateurs publics dans des lieux comme des universités ou des bibliothèques. “Ces ordinateurs utilisés par un grand nombre de personnes sont généralement une cible de choix pour les virus”, rappelle Matt Blaze.
Autant de raisons qui ont poussé l’État voisin de New York a refuser, ce week-end, d’ouvrir le vote par email. Mais les autorités du New Jersey ont persisté, ajoutant, lundi, qu’il fallait outre le message électronique, envoyer un fax ou un courrier confirmant son intention de vote.
Une précaution supplémentaire qui n’a pas convaincu les opposants à cette trouvaille électorale. “Si l’email doit être validé par une preuve papier, quel est intérêt d’y recourir ?”, s’interroge ainsi Matt Blaze. Il craint aussi que l’obligation d’avoir une adresse de messagerie et un accès à du matériel comme un fax crée une démocratie électorale à deux vitesses. Ce procédé exclut, en effet, les plus démunis qui n’ont jamais eu d’accès à Internet ou utilisent peu ou pas du tout de fax.
Enfin, il existe des risques de contestation après dépouillement. Un vote par email à une telle échelle est une première aux États-Unis, et “quelqu’un va perdre cette élection. Espérons que la sécurité informatique mise en place en si peu de temps sera suffisante pour mettre à mal toute contestation post-électorale”, remarque Matt Blaze. Une manière de se demander si le New Jersey sera aux élections de 2012 ce que la Floride - où le candidat démocrate Al Gore avait obtenu un recomptage manuel de 70 000 bulletins - avait été pour l’élection de 2000.