![Et si les journaux français se passaient de Google ? Et si les journaux français se passaient de Google ?](/data/posts/2022/07/17/1658074192_Et-si-les-journaux-francais-se-passaient-de-Google.jpg)
La presse brésilienne l'a fait : depuis un an, elle boycotte en partie le moteur de recherche américain, accusé de faire des profits en agrégeant gratuitement les contenus des journaux. Un exemple qui pourrait inspirer les médias européens ?
Les journaux français peuvent-ils se passer de Google ? L'exemple des médias brésiliens, qui ont retiré leurs contenus payants de Google Actualités, peut-il donner des idées aux éditeurs de presse européens ?
100 milliards : c'est le nombre de requêtes traitées par Google chaque mois au niveau mondial
Plus de 1,2 milliard d'euros : c'est, selon les estimations, le chiffre d'affaires de Google en France en 2011
200 millions d'euros : ce sont les revenus publicitaires annuels de l'ensemble de la presse en ligne française, selon l'Association de la presse d'information politique et générale
5 millions d'euros : c'est ce qu'aurait reversé Google en France en 2011 au titre de l'impôt sur les sociétés
4 milliards : c'est le nombre de clics que Google dit rediriger chaque mois vers les éditeurs de presse français
Preuve en tout cas de l'importance de ce débat, c'est le président français en personne qui reçoit lundi Eric Schmidt, président exécutif de Google en charge des affaires extérieures. Une visite qui intervient dans un contexte tendu : des éditeurs de presse français, mais aussi allemands et italiens, réclament que Google rémunère l'indexation de leurs contenus. Une position soutenue par François Hollande, selon le "Figaro", et par la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti. Le géant américain, en revanche, menace de ne plus référencer les journaux français si une loi impose une telle taxation.
Les grands journaux brésiliens boycottent Google Actualités
Que se passerait-il si, faute d'accord, Google mettait sa menace à exécution ? "C'est très difficile à dire, explique François Mariet, professeur à l'Université Paris-Dauphine et spécialiste des médias et du passage au numérique. Quelles seraient les modalités techniques du déréférencement, est-ce que ce serait un déréférencement total ? Seuls les journaux peuvent faire le calcul."
Patrick-Yves Badillo, spécialiste des médias et directeur du Medi@LAB de Genève, est plus catégorique. Impossible, selon lui, de se passer du référencement Google. "Google Actualités constitue une source de trafic importante pour les sites d'information, pouvant atteindre les 40 %, explique-t-il. Les conséquences d'un déréférencement conduiraient à diminuer la visibilité des éditeurs de presse français sur Internet, et donc leurs recettes publicitaires."
Les journaux brésiliens ont eux déjà sauté le pas. Mais en partie seulement. Face au refus de Google de rémunérer l'utilisation de leurs articles, 90 % des titres du pays ont décidé de boycotter l'agrégateur de Google Actualités pour leurs contenus payants. Le contenu gratuit reste cependant disponible.
Un an plus tard, l'Association nationale des journaux brésiliens (ANJ) dresse un bilan positif de cette expérience, tout en continuant à chercher un accord avec Google. Selon l'ANJ, les journaux ont perdu en moyenne 5 % de trafic mais davantage de lecteurs se rendent désormais directement sur leur site.
Un combat inégal
"Il y a une grande différence avec la situation en France aujourd'hui, insiste Patrick-Yves Badillo : Google continue de référencer les journaux brésiliens et n'a pas menacé de ne plus les référencer."
Si les Brésiliens se disent satisfaits de leur décision, d'autres titres n'ont pas réussi à tenir tête à Google. Dans un communiqué, la société californienne met en avant le cas du "Times" : le quotidien anglais, qui a interdit le référencement de ses pages en 2010, est finalement revenu sur sa décision, "trop coûteuse en terme de lecteurs".
En 2011, les médias belges en guerre contre Google n'ont tenu que 24 heures après leur déréférencement, avant de trouver un accord avec le géant.
À l'heure des négociations, Google semble en position de force. Le moteur de recherche exerce une situation de quasi-monopole alors que la presse française est à la fois économiquement très fragile et divisée entre "nouveaux" et "anciens" acteurs. Les "pure player" (Rue89, Médiapart, Slate etc.), notamment, estiment que cette bataille lancée contre Google est une bataille "hypocrite", qui ne règlera pas les problèmes de la presse.
Ne pas céder pour ne pas créer de précédent ?
Mais la situation n'est pas sans risque pour le géant de Mountain View. Si Google reste inflexible, les éditeurs de presse européens seront incités à inventer d'autres solutions.
"À moyen terme, les grandes associations d'éditeurs à l'échelle européenne ne pourraient-elles pas prendre en main leur propre référencement, avec des moteurs de recherche dédiés ? suggère Patrick-Yves Badillo. En Asie par exemple, différents moteurs de recherche sont régionaux et contrôlés par d’autres acteurs que Google."
"Avec le passage progressif du Web au mobile, la lecture se fait de plus en plus par le biais d'applications, sans passer par Google", relève aussi François Mariet.
Au-delà même des questions économiques, Google doit affronter un problème d'image. Celle d'un groupe gigantesque qui puise dans les gisements publicitaires des pays et gagne de l'argent sans créer de contenus ni payer d'impôts...
Si elle cède aux exigences européennes, l'entreprise risque en revanche de créer un précédent lourd de conséquences. "Le problème de Google se pose partout dans le monde, et pas uniquement dans le domaine de la presse", précise François Mariet.
"La question, c'est sur quoi Google peut-il céder sans que cela soit trop pénalisant pour son modèle", résume Patrick-Yves Badillo. Une équation qui pourrait augurer de longues négociations.