Dans le sud de l'Italie, la plus grosse usine sidérurgique d'Europe est sous le coup d'une fermeture administrative décidée par la justice, qui redoute une catastrophe écologique. Mais la direction est déterminée à maintenir la production. Face à elle, citoyens et ouvriers se mobilisent.
C’est la plus grande aciérie d’Europe. Les cheminées de l’usine Ilva, à Taranto, dans les Pouilles, sud de l’Italie, sont visibles à des dizaines de kilomètres. Elles ont longtemps fait la fierté de la région. Un tiers de l’acier italien est produit ici.
Mais une réalité moins glorieuse a longtemps été occultée : l’usine est responsable à elle seule de 92 % des rejets de dioxine en Italie et de près de 9 % des rejets européens. L’air et le sol de Taranto sont contaminés : plomb, nickel, minerai de fer… Cela fait des années que les habitants respirent ces particules toxiques.
À Taranto, le taux de mortalité est supérieure de 10 à 15 % à la moyenne nationale. Le taux de cancers, quant à lui, supérieur de 30 %. Les tumeurs, les leucémies et les maladies respiratoires sont en nombre anormalement élevé…
Pendant des années, les autorités ont fermé les yeux. Jusqu’à ce que le désastre soit trop important pour être ignoré.
Ce sont finalement les autorités judiciaires qui se sont saisies du dossier. Le 26 juillet 2012, une juge a ordonné la mise sous séquestre de l’usine, qui est maintenant partiellement contrôlée par la justice. Huit dirigeants, dont Emilio Riva, un riche industriel, ont été assignés à résidence. Le tribunal a ordonné l’arrêt des activités les plus polluantes, notamment la production de coke, un combustible utilisé pour fabriquer l’acier, et les émissions de dioxine ont été réduites.
Mais l’usine continue de rejeter des déchets de combustion toxiques. Le minerai de fer utilisé pour produire l’acier est stocké à l’air libre. À chaque coup de mistral, cette poussière s’envole dans l’atmosphère et recouvre les rues du quartier qui jouxte l’usine. Les rues et les bâtiments sont teintés d’une couleur rouge, symbole du poison qui ronge la ville et que l’on retrouve jusque sur les tombes du cimetière. Là où sont enterrés bon nombre de victimes de cancers, probablement provoqués par la pollution.
Pourtant les dirigeants actuels de l’usine continuent de minimiser le problème et font tout pour maintenir la production. Bruno Ferrante, le président d’Ilva, nous a ainsi assuré lors de notre reportage que l’usine n’était en rien responsable de la pollution et de l’état de santé des habitants.
L’usine bénéficie même de la bienveillance du gouvernement, qui veut éviter sa fermeture. Ilva fait travailler, directement ou indirectement, 20 000 personnes. Des ouvriers confrontés aujourd’hui à un choix impossible : le travail ou la santé.