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Téhéran donne un coup d'accélérateur à son projet d'Internet "halal"

Le moteur de recherche et le service de messagerie de Google ne sont plus accessibles depuis l’Iran. Une nouvelle étape dans la censure du web opérée par le régime des mollahs, qui a annoncé vouloir installer son Internet national en 2013.

Google.com et gmail.com, deux des principaux services du géant américain de l’Internet, ne sont plus disponibles pour les internautes iraniens depuis dimanche 23 septembre. Ils rejoignent la liste grandissante des sites dont l’accès est bloqué par Téhéran, tels que Facebook, YouTube ou plusieurs sites de médias étrangers.

Cette décision annoncée dimanche par Abdolsamad Khoramabadi, un représentant de l’unité iranienne de lutte contre la cybercriminalité, est présentée comme une mesure de rétorsion après la diffusion sur YouTube (propriété de Google) de la bande-annonce de la vidéo islamophobe “L’innocence des musulmans”.

S’agirait-il, en fait, d’une étape supplémentaire dans “l’appauvrissement du contenu disponible pour les Iraniens sur l’Internet mondial” ?, s’interroge au micro de FRANCE 24 Reza Moini, responsable du bureau Afghanistan/Iran de Reporters sans frontières (RSF). Cette mesure s’inscrirait dans le dessein plus global de créer, en Iran, le premier Internet purement national.

Coup d’accélérateur

Ce cyber-réseau “halal” - purgé de tout contenu jugé dangereux ou offensant par le régime des mollahs - serait mis en place au printemps 2013, ont annoncé plusieurs médias iraniens cités par l’agence de presse américaine Reuters. “En fait, depuis samedi, il semblerait que les 42 000 départements de la fonction publique ont basculé sur cet immense intranet à l’échelle nationale et ont été coupés de l’Internet”, a constaté Reza Moini.

La République islamique iranienne a donc mis un grand coup d’accélérateur à son projet de web “halal” auquel les autorités travaillent depuis 2002. “Il s’agit de couper physiquement l’Iran de l’Internet mondial”, précise Reza Moini. Tous les sites qui ont reçu la bénédiction de Téhéran doivent, ainsi, être hébergés sur le sol iranien. “La première phase du réseau national d’information, qui consiste à séparer le réseau interne du réseau mondial, a été achevée dans 28 provinces du pays, a ainsi expliqué début septembre Reza Taghi Poor, ministre iranien des Télécommunications. "Il nous reste deux autres provinces pour terminer cette phase, mais à partir du 22 septembre, dans la totalité du pays, les deux réseaux Internet, le réseau mondial et le réseau national d’information, seront accessibles”, a-t-il poursuivi.

L’Iran aurait ainsi décidé de mettre les bouchées double sur la mise au point de son programme d’Internet propre pour se prémunir, officiellement, des menaces d’attaques informatiques telles le virus Stuxnet qui avait visé, à l’été 2010, les installations nucléaires du pays. “C’est vrai que cela va minimiser le risque d’attaque informatique, mais l’objectif numéro un reste de priver les Iraniens d’un accès à l’information internationale”, nuance Reza Moini.

Cette version “propre” du world wide web permettra l’accès aux sites institutionnels et à tous ceux qui seront jugés conformes au discours officiel. Exit donc la totalité des services type Facebook, YouTube, Twitter et autres réseaux sociaux qui ont fait les beaux jours des printemps arabes. “Le régime serait aussi en train de travailler sur des versions iraniennes de certains sites comme YouTube ou Facebook”, raconte Reza Moini. Téhéran a déjà mis en place une messagerie Internet 100 % iranienne, amenée à remplacer les Gmail, Yahoo etc… Afin d’y avoir accès, les internautes doivent fournir toute une série d’informations personnelles (nom, adresse, numéro de téléphone) qui, selon Reza Moini, permettront aux autorités de surveiller précisément les communications sur les réseaux.

Risque économique

Téhéran ne compte cependant pas débrancher totalement son pays de l’Internet mondial... mais simplement le rendre inutilisable pour la plupart des Iraniens. “Le régime compte instaurer une connexion à deux vitesses”, confirme Reza Moini. Ainsi, l’Internet “propre” serait très rapide et similaire à du haut débit dans les pays occidentaux, tandis que l’accès au réseau mondial si lent qu’il serait impossible de surfer correctement sur le web. “La vitesse serait réduite à tel point que l’utilisation des VPN [Virtual private network, des programmes qui permettent de contourner la cyber-censure iranienne, NDLR] deviendrait impossible”, craint Reza Moina.

En outre, il ne s’agirait pas seulement d’un Internet à deux vitesses, mais également à plusieurs étages. “L’idée est de faire comme en Birmanie où les proches du pouvoir ont accès à toutes les informations sur le Net, les grandes entreprises et institutions se connectent avec un débit acceptable alors que la population n’a qu’un accès très bridé et surveillé au réseau”, explique Reza Moini.

Mais le plan de l’Internet “halal” risque de se heurter aux réalités économiques. Téhéran bénéficie actuellement d’importantes rentrées financières liées aux forfaits auxquels doivent souscrire les Iraniens pour se connecter. “Toute cette jeunesse hyper connectée, qui fait de l’Iran l’un des pays de la région où la pénétration de l’Internet [près de 50% de la population, NDLR] est la plus forte, va-t-elle réellement accepter de continuer à payer pour un réseau sur lequel on ne trouve quasiment plus d’informations ?”, s’interroge Reza Moini.