En gelant le débat sur l’exploitation du gaz de schiste, François Hollande entame un difficile bras de fer avec les industriels et les syndicats, qui voient dans les hydrocarbures non-conventionnels une manne économique et des promesses d’emplois.
François Hollande a rouvert la boîte de Pandore. "Dans l’état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l’exploitation des gaz et huiles de schiste par fracturation hydraulique, seule technique aujourd’hui connue, est exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement", a affirmé le président français, vendredi 14 septembre, au cours de la Conférence environnementale. En décidant d’annuler sept demandes de permis d’exploration et d’exploitation visant le gaz de schiste, le président français entame un bras de fer avec les industriels… et les syndicats. Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, s’est rallié à la cause des pétroliers en assurant, dimanche 16 septembre, qu’il ne "fallait pas fermer la porte aux recherches dans le domaine de l’énergie, y compris pour les gaz de schiste".
C’est, à peu de choses près, les mêmes regrets qu’expriment aujourd’hui les industriels. Ainsi, Total, à l’origine de l’une des demandes d’exploitations rejetées, a regretté que le gouvernement ait clos "le débat avant même qu’il soit ouvert". Et Laurence Parisot, présidente du Medef, de renchérir : "Tout ce que je demande, c’est qu’on ne ferme pas définitivement les choses, sinon c’est de l’obscurantisme", avant de brandir l’eldorado économique et les milliers d’emplois que promettent les industriels du secteur grâce à la manne des hydrocarbures non-conventionnels.
"Le débat n’est pas clos pour toujours"
La fracturation hydraulique a été interdite par une loi votée en juillet 2011. Face à la mobilisation massive des citoyens dans les territoires concernés, le gouvernement de François Fillon s’était incliné et avait annulé les permis d’exploitation accordés en catimini quelques mois plus tôt. Lors de la discussion du texte à l’Assemblée, le groupe socialiste avait alors fustigé une loi trop frileuse, et prôné l’interdiction pure et simple de l’exploitation du gaz de schiste.
Un discours qui séduit nombre de politiques, à l’heure où le taux de chômage atteint des sommets et où la crise frappe la France de plein fouet. Car le sous-sol hexagonal regorgerait d’un énorme trésor énergétique : 5 100 milliards de mètres cubes de gaz de schiste, soit l’équivalent d’un siècle de réserves. Selon toute probabilité, ni le monde politique ni les industriels ne devraient donc définitivement renoncer à ce secteur lucratif. "On attendra le temps qu’il faudra", a, en filigrane, déclaré Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières (Ufip). "On espérait que la porte [sur la question de l’exploitation par fracturation hydraulique, ndlr] resterait un peu ouverte, elle a été fermée aujourd'hui. Mais la technologie va évoluer et en fonction de l'évolution de cette technologie, on va continuer à ouvrir le débat, on ne considère pas que le débat est clos pour toujours", a-t-il ainsi assuré lors d’une table ronde sur l’énergie.
"Il n’y a aucun tabou", a d’ailleurs affirmé Delphine Batho, ministre de l’Environnement. Son collègue au Redressement productif, Arnaud Montebourg a, lui, assuré que le débat était loin d’être clos. "C’est même un débat important pour transformer en profondeur le pays", a-t-il déclaré, invitant "ceux qui aujourd’hui cherchent des solutions pour changer la France" à y participer. Le ministre le martèle : l’interdiction prononcée par François Hollande ne concerne que la méthode d’extraction du gaz de schiste, la fracturation hydraulique. Celle-ci consiste à fracturer la roche à l’aide d’explosifs et d’eau additionnée de produits chimiques propulsée à très haute pression, via un forage percé à l’horizontale puis à la verticale. Très gourmande en eau, cette méthode est réputée potentiellement dangereuse pour l’environnement, et menace notamment de pollution les nappes phréatiques. D’autres méthodes d’extraction du gaz de schiste sont en cours d’expérimentation, entre autres la fracturation pneumatique et par arc électrique, mais la fracturation hydraulique reste pour l’heure la seule méthode éprouvée pour extraire des couches de roche les petites bulles de gaz emprisonnées.
Les écologistes mitigés
"Pas de fracture hydraulique mais pas de barrière définitive à l’extraction du gaz de schiste", ont donc, en substance, déclaré les membres du gouvernement au cours de ces derniers jours. Si cette idée a de quoi rassurer les géants du secteur pétrolier, elle déçoit profondément une large partie des écologistes. Bien que José Bové, eurodéputé d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) et chef de file des anti-gaz de schiste en France, et Cécile Duflot, membre d’EELV et ministre du Logement, se soient montrés très satisfaits des déclarations de François Hollande concernant le gaz de schiste, le président est loin d’avoir fait l’unanimité chez les défenseurs de l’environnement. Ainsi, le député EELV Noël Mamère reste sceptique, évoquant un "engagement qui ne va pas loin".
L’association Greenpeace a déploré, elle, "tout un tas d’ambiguïtés à lever". Et sur le terrain, les associations anti-gaz de schiste se méfient et maintiennent leur mobilisation, souhaitant voir une bonne fois pour toutes l’exploitation du gaz de schiste interdite dans son ensemble, quelle qu’en soit la méthode d’extraction. Le bras de fer entre pétroliers, gouvernement et défenseurs de l’environnement ne fait que commencer.