logo

À la recherche de Sam Bacile, producteur de "L'innocence des musulmans"

"L'innocence des musulmans", un film jugé blasphématoire et à l'origine de violents heurts en Égypte et en Libye, suscite de nombreuses questions : de l’identité du producteur Sam Bacile en passant par l'authenticité des dialogues.

D’où viennent les extraits de "L’innocence des musulmans", film où le Prophète apparaît comme un tyran assoiffé de sang, un collectionneur de femmes, une brute envers les enfants, un homosexuel ? Des images qui ont embrasé les rues du Caire, en Égypte, de Benghazi, en Libye, – où l’ambassadeur et trois fonctionnaires américains ont été tués - et de Sanaa, au Yémen. Les premières affirmations qui ont circulé sur le film, qu’il s’agisse de l’identité du réalisateur – un certain Sam Bacile -, sa nationalité – il s’est d’abord présenté comme israélo-américain -, et sur le contenu même de la vidéo – les dialogues islamophobes -, s’avèrent inexactes.

Un premier doute est permis simplement en visionnant ce film de fiction d’un peu moins de 14 minutes, au montage incohérent, aux effets spéciaux amateurs et à la bande-son brouillonne, posté sur YouTube au mois de juillet. Les dialogues qui précisément mentionnent le Prophète et le Coran ont une qualité sonore différente ; les lèvres des acteurs ne sont pas synchronisées et disent visiblement autre chose. Le nom du Prophète est parfois prononcé hors-champ. Il y a donc vraisemblablement eu un doublage des voix après le tournage du film.

Ce que confirme l’une des actrices, Cindy Lee Garcia, qui vit à Bakersfield en Californie. Cette femme, qui tient un rôle secondaire dans le film, raconte que le script de départ ne comportait pas le nom du prophète Mahomet mais "Master Georges" (Maître Georges). Dans la vidéo, elle prononce la phrase : "Is your Mohamed a child molester ?" ("Votre Mahomet est-il un pédophile ?", à la 9e minute). L’actrice affirme que le film se nommait originellement "Desert Warrior" et qu’il se situait dans un temps indéfini dans l’Égypte pré-chrétienne.

Des acteurs grossièrement exploités

Une fiche de distribution publiée sur le site Backstage.com concorde avec le scénario initial : le long-métrage est produit par un certain Sam Bassiel et a été tourné en août 2011 à Los Angeles. Et le personnage de Mahomet correspond à celui de "Georges"  - dépeint comme un "homme, entre 20 et 40 ans, personnalité de chef, romantique, tyrannique, tuant sans remords".

L’équipe du film a envoyé mercredi un communiqué à CNN pour exprimer sa colère d’avoir été ainsi abusée par le producteur. "Nous dénonçons ce film à 100 % et nous avons été grossièrement exploités sur ce film, ses intentions et son objectif. Nous sommes choqués par la réécriture drastique du script. Nous avons tous été trompés. Nous sommes profondément attristés par les tragédies qui ont eu lieu" en Égypte et en Libye.

De Steve Klein à Nakoula Basseley Nakoula

Les informations concernant la personnalité et l’origine du dénommé Sam Bacile sont en revanche plus compliquées à démêler. D’après les premières révélations du "Wall Street Journal", l’intéressé s’est d’abord présenté au téléphone comme un réalisateur né en Israël et vivant aux États-Unis. Il avait tenu des propos anti-islam et avait affirmé que son projet était financé par des juifs, à hauteur de 5 millions de dollars. Il s’avère que ni les États-Unis ni l’État d’Israël ne retrouvent trace d’un citoyen portant ce nom. Et la qualité du film n’est pas à la hauteur des 5 millions de dollars qui auraient été investis. Depuis mercredi, le portable qui a permis au "Wall Street Journal" d'entrer en contact avec Sam Bacile ne répond plus.

Associated Press a également cherché à joindre Sam Bacile et a obtenu son téléphone auprès de Morris Sadek, un copte américain, directeur du "National American Coptic Assembly", qui a promu le film en envoyant un e-mail à plusieurs rédactions américaines. L’agence de presse américaine a fini par rencontrer un dénommé Nakoula Basseley Nakoula, se présentant comme un chrétien copte à la tête d'une société de production ayant financé "L’innocence des musulmans". L’homme nie être Sam Bacile.

Autre piste, celle de Steve Klein qui a confirmé au "New York Times" avoir travaillé sur le film aux côtés de Sam Bacile sans pouvoir donner l’identité exacte du producteur. Steve Klein est lui-même l’un des fondateurs de Courageous Christians United, un groupement d’activistes anti-musulman et anti-avortement, et le présentateur d’une émission sur la chaîne de télévision The Way TV, tenue par des chrétiens qui prônent l’évangélisation au Moyen-Orient. D’après le "New York Times", Steve Klein conteste avoir tenu un rôle central dans le film, mais il reconnaît en avoir soutenu l’idée originelle : attirer les musulmans radicaux à voir un film au titre accrocheur pour leur montrer "la vérité, les faits, la preuve", explique-t-il. "Alors j’ai dit, ok, c’est une bonne idée".

Trois versions de la vidéo

Sur YouTube, le compte "sam bacile" a posté deux versions anglophones de la vidéo, intitulées "Muhammad Movie Trailer" (13mn et 51 sec) et "The Real Life of Muhammad"(13 mn et 03 sec). La version arabophone, qui a circulé peu avant le 11 septembre, n'est pas incluse. Derrière ces 13 minutes de montage haché, qui rattache plusieurs scènes anachroniques, se cache-t-il un réel long-métrage ? Nul ne le sait.

Parmi les seuls indices laissés sur YouTube par le compte "sam bacile", un commentaire posté mardi dernier en arabe égyptien : "ceci est un film 100 % américain, bande de veaux" au bas d’une vidéo de débat sur le film "L’innocence des musulmans". Il a également ajouté à ses favoris un débat sur la théologie musulmane, diffusé par le parti salafiste égyptien, Al-Nour party TV, il y a un mois. Difficile encore d’avoir une vision cohérente du personnage ou de l’ensemble des individus qui se cachent derrière le pseudonyme Sam Bacile.