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"L’ASL est loin de contrôler ses troupes sur le terrain"

La diffusion d’une vidéo montrant l’exécution sommaire de soldats syriens par des rebelles vient, une nouvelle fois, écorner l’image de l'Armée syrienne libre. D'aucuns craignent, sur le terrain, la multiplication des crimes de guerre.

Leurs mains sont ligotées, leurs yeux bandés. Ces hommes, une vingtaine de soldats de l’armée régulière, ont été sommairement exécutés le week-end du 8 et 9 septembre à Alep en Syrie, selon une vidéo amateur postée sur Youtube et relayée par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, qui accuse l’Armée syrienne libre (ASL) d’être à l’origine de ces exactions.

Les images, d’une extrême violence, montrent une vingtaine de corps d'hommes en treillis, allongés dans une rue, la tête ensanglantée. Autour d’eux, d’autres hommes armés, en tenue militaire ou en civil, se tiennent debout. L’un d'eux fait le signe de la victoire.
 

Pendant toute la durée de la vidéo, 45 secondes, on entend un homme crier "Allah akbar !" ("Dieu est le plus grand !", en français). 
 
"Ces soldats ont été capturés à la caserne Hanano [à Alep, NDLR] vendredi ou samedi par les rebelles, puis ils ont été exécutés ailleurs. Leurs mains ont été ligotées et leurs yeux bandés", a déclaré Rami Abdel Rahmane, président de l’Observatoire syrien des droits de l'Homme.
 
Human Rights Watch parle d’une dizaine d’exécutions
Pourtant, l’ASL se défend d’avoir procédé à des exécutions sommaires. "Un commandant de l’ASL nous a confirmé l’exécution mais il a affirmé qu’il y avait eu un procès", explique Jean-Marie Fardeau, directeur de Human Rights Watch France (HRW) à FRANCE 24. "Mais on ne peut pas juger de la procédure : de quel type de procès parle-t-on ? Avec quelle garantie pour la défense ? De plus, s’ils ont été torturés, il s’agit d’un crime de guerre".
 
Depuis quelques mois, l’image de la rébellion a été écornée par plusieurs dérapages filmés. Le 31 juillet, l’exécution de membres de la tribu des Berri, qui participaient aux combats au côté des forces du régime de Bachar al-Assad à Alep, a ébranlé la communauté internationale. "Nous avons une dizaine de cas d’exécutions documentés de l’ASL ", ajoute Jean-Marie Fardeau.
 
Du pain béni pour le régime de Bachar al-Assad, estime Hasni Abidi, politologue spécialiste du monde arabe et auteur de "Où va le monde arabe ? Les défis de la transition", à paraître en octobre aux éditions Erick Bonnier. "Le régime syrien est content que ce type de vidéos circule car elles décrédibilisent l’opposition et mettent en doute le projet post-Assad", analyse-t-il pour FRANCE 24. "Cela ne rassure ni les démocraties occidentales, ni l’opinion publique syrienne. Il y a toute une partie de la population qui ne soutient pas Bachar al-Assad mais qui refuse une intervention armée, justement par peur du lendemain".
 
"L’ALS est un peu une auberge espagnole"

Face au risque de perdre la guerre des images, l’opposition tente pourtant de canaliser ses hommes. "Plusieurs hauts responsables de l’ASL et du CNS [Conseil national de transition, NDLR] ont appelé leurs troupes à respecter le droit international", rappelle Jean-Marie Fardeau. Un  "code de conduite", rédigé par des activistes et des membres de l'ASL a ainsi été signé le 8 août dernier, par plusieurs commandants de brigades. "Je jure à mon peuple et à la révolution que je ne ferai rien qui porte atteinte aux principes de la révolution, de la liberté, de la citoyenneté et de la dignité", ou encore, "Je respecterai les droits de l'Homme, les principes tolérants de notre religion", stipulait l’article 2 du code de conduite.

En vain. "L’ASL est loin de contrôler ses troupes sur le terrain", insiste Hasni Abidi. "L’ALS est un peu une auberge espagnole. Il s’agit d’éléments armés, opposés au régime au pouvoir, qui décident de le défier mais on ne sait pas qui ils sont exactement, ajoute le politologue. Il y a de nombreux mouvements isolés. Et, avec les frontières avec l’Irak et la Turquie qui sont devenues de véritables passoires, les conditions sont propices à l’entrée en Syrie de ce que l’on appelle les nouveaux djihadistes".
 

La menace de poursuites
Une chose est sûre, l'ALS est diverse et elle n'a pas de commandement centralisé. "L’opposition souffre de nombreux dysfonctionnements mais il lui est impossible aujourd’hui d’ouvrir un front supplémentaire, en interne, pour chasser ceux qui commettent des exactions", poursuit Hasni Abidi.
 
Dix-sept mois après le début du conflit, la communauté internationale, paralysée par le blocage de la Chine et la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU, condamne néanmoins les violences perpétrées par les deux camps. Le 15 août, une commission d'enquête de l'ONU a accusé les forces gouvernementales et les milices pro-régime de crimes contre l'humanité, et l'opposition armée de crimes de guerre mais à une échelle beaucoup plus limitée. Lundi, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a assuré que "toute personne, des deux côtés, qui commet des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou autres violations des droits de l'Homme internationaux ou du droit humanitaire [sera] traduite en justice".