Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a annoncé un nouveau programme très attendu de rachat "illimité" de la dette des pays de la zone euro. Un plan dont les contours sont toutefois jugés très flous par certains experts...
L’euro “est irréversible”. C’est fort de cette foi affichée en la monnaie unique que Mario Draghi a annoncé, ce jeudi 6 septembre, que la Banque centrale européenne (BCE), qu'il préside, allait lancer un nouveau programme de rachat de dettes des États de la zone euro soumis à la pression des marchés financiers.
itL'Allemagne, pourtant, était opposée à cette initiative. La Bundesbank (Banque centrale allemande) craint, en effet, qu'une telle opération fasse grimper l’inflation en Europe. Un comble pour les Allemands, qui rappellent que la raison d’être de la BCE est de lutter contre l’envolée des prix.
Une objection dont Mario Draghi n’a toutefois pas tenu compte. Raison de sa décision : “Des perturbations graves [ont été] observées sur le marché des obligations publiques qui proviennent de craintes infondées de la part des investisseurs sur la réversibilité de l'euro”, a justifié le patron de l’institution financière de Francfort lors d’une conférence de presse très attendue, notamment par les marchés financiers.
L’objectif affiché de la BCE est donc avant tout de rassurer les marchés. Les investisseurs craignent en effet une sortie de la Grèce de la zone euro et voient se profiler une demande d'aide financière de l'Espagne. Le nouveau programme de la BCE - baptisé "Outright monetary transactions" (OMT) - consiste à racheter à des créanciers privés (banques, fonds d’investissement) les obligations à un ou trois ans de pays en difficultés.
Au bonheur des Bourses
En s’impliquant ainsi, la BCE espère démontrer la solidarité de l’Union avec ses membres les plus fragiles économiquement. Un signal qui doit, dans un scénario idéal, pousser les marchés financiers à baisser les taux d’intérêts auxquels ils acceptent de prêter à des pays comme l’Espagne ou l’Italie car leur dette ne serait alors plus considérée comme risquée.
itLes Bourses européennes semblent, elles, avoir réagi positivement à l’annonce de Mario Draghi. À Paris, le CAC 40 a gagné, jeudi, plus de 3 % tandis que les places financières de Milan et de Madrid ont progressé de plus de 4 %. “Mais ces hausses sont essentiellement liées à l’effet d’annonce. Le vrai test aura lieu dans les jours à venir”, tempère Christophe Blot, économiste spécialiste de l’Europe à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Et là, le tableau boursier risque d’être moins rose, juge ce spécialiste plutôt critique à l’égard de l’annonce de la BCE. “Alors que la zone euro a besoin d’une action forte et d’un message très clair, Mario Draghi est resté, au fond, très flou”, regrette Christophe Blot. Son principal reproche formulé au président de la banque : l’absence d’objectifs chiffrés pour l’opération de rachat de dettes. Certes, Mario Draghi a affirmé qu’il n’y avait pas de limite au nouveau programme de la BCE, mais “cela veut tout et rien dire”, estime l'économiste.
OMT vs SMP
“En fait, la BCE a surtout rebaptisé des programmes qu’elle appliquait déjà par le passé sous l’appellation 'SMP' (Security Market Program)”, poursuit Christophe Blot. Ces SMP lui ont permis de racheter, en 2010 et en 2011, 209 milliards d’euros de dettes de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie. Soit 2,3 % du PIB de la zone euro...
“Ce qu’il faudrait, c’est que Mario Draghi annonce un plan compris entre 500 milliards et 1000 milliards d’euros, soit près de 10 % du PIB”, souligne Christophe Blot. Avant de rappeler que la Réserve fédérale américaine (Fed) a racheté près de 2 000 milliards de dollars de dette américaine, soit 12 % du PIB des États-Unis. La Banque centrale britannique avait également chiffré le montant de son opération de rachat de dettes, en 2011, à 200 milliards de livres.
Les opposants à une annonce chiffrée jugent que cela ne ferait qu’attiser les craintes des marchés financiers lorsque ce plafond serait atteint. “Mais rien n’empêcherait la BCE - comme l’a fait la Banque centrale britannique - de rehausser le plafond par la suite”, souligne Christophe Blot.
Le plan dévoilé par Mario Draghi comporte, par ailleurs, une autre incertitude. Contrairement aux précédents SMP, ce nouveau programme ne prévoit d'intervention de la BCE que si un pays appelle à l’aide. En clair : pas d'OMT sans passage par la case FESF (Fonds européen de soutien financier) ou MES (Mécanisme européen de soutien). “Il semble donc, par exemple, que la BCE s’interdise aujourd’hui de racheter de la dette italienne malgré ses taux d’intérêts élevés, car Rome n’a pas encore demandé de plan de soutien”, note Christophe Blot.