Fatma Nabil a présenté dimanche les informations sur la chaîne publique égyptienne coiffée d’un hijab. Une première dans l’histoire de la télévision d’État. Les Frères musulmans semblent décidés à asseoir leur pouvoir, y compris sur les médias.
En Égypte, la rentrée télévisée s’est faite à la mode des Frères musulmans. La présentatrice du journal de la mi-journée, Fatma Nabil, est apparue, le 2 septembre, sur les écrans de la télévision nationale, Channel 1, voilée d’un hijab crème et habillée d’un costume sombre. Il s’agit d’une première depuis la création de la chaîne dans les années 60.
Déjà sous Nasser, puis sous Moubarak, la télévision publique avait toujours respecté une stricte règle de laïcité. Les femmes, qui souhaitaient porter le voile, ne pouvaient apparaître à l’écran pour présenter les informations sur la chaîne nationale. Elles devaient se conformer à un code esthétique occidental établi par les femmes de pouvoir, notamment les épouses de chef d’État, telles que Suzanne Moubarak et Jihane al-Sadate qui arboraient un brushing impeccable. Mais à présent, à l’image de la femme voilée du président issu des rangs des Frères musulmans Mohamed Morsi, Naglaa Ali Mahmoud, le port du hijab vient d’être porté à l’écran.
C’est le ministre de l’Information, Salah Abdel Maqsoud Metwalli, qui a levé officiellement l’interdiction – jamais formulée par écrit, mais strictement respectée. "Finalement, la révolution a touché les médias officiels", s’est réjoui Fatma Nabil lors d’une interview à "Justice et liberté", le quotidien des Frères musulmans.
La fin d’une discrimination
L’apparition d’une femme voilée à la télévision d’État divise les féministes en Égypte. "Pour être tout à fait impartiale, je dois admettre que les présentatrices voilées subissaient une forme de discrimination. Beaucoup de femmes qui avaient toutes les qualifications requises n’apparaissaient pas à la télévision parce qu’elles portaient le hijab", explique Sally Zohney, membre d’un mouvement de défense des droits des femmes, Baheya Ya Masr, créé après la révolution du 25 janvier 2011, au "Los Angeles Times".
Le parcours de Fatma Nabil reflète d’ailleurs cette évolution : la jeune femme avait déjà travaillé, par le passé, à la télévision nationale, mais dans la préparation des JT. Elle avait ensuite été embauchée durant un an sur la chaîne privée des Frères musulmans, Misr 25, où elle avait commencé à apparaître à l’écran, avant de rejoindre à nouveau la télévision nationale récemment.
Alors que la grande majorité des Égyptiennes portent le voile dans la rue, l’absence de hijab à l’antenne faisait office d’exception. Lamiyaa al-Sayed, une journaliste qui souhaitait porter le voile à l'antenne, a d’ailleurs porté plainte auprès du tribunal d’Alexandrie, en décembre dernier, et obtenu gain de cause : la justice a condamné le ministère de l’Information à une amende de 20 000 livres égyptiennes.
Si Sally Zohney se félicite de la fin de cette discrimination, elle craint aussi l'excès inverse. "Je suis à présent inquiète que le voile devienne la norme. Qu’une femme ne soit respectée qu’en portant le hijab. Il ne faudrait pas tomber dans la discrimination inverse : qu’une employée non voilée soit harcelée".
Les journaux à la botte de Morsi
Au-delà du cas particulier de Fatma Nabil et de la liberté vestimentaire des présentatrices égyptiennes, c’est l’influence croissante des Frères musulmans dans les médias qui pose question. La télévision d’État se trouve toujours sous la coupe du ministère de l’Information, tout comme elle l’était au temps de Moubarak. Les journalistes sont nombreux à dénoncer la pression exercée par les Frères musulmans au travers des mêmes instruments qu’ils ont eux-mêmes dénoncés durant la révolution : la télévision d’État, qui s’était discréditée durant le mouvement populaire de l’hiver 2011 en traitant les manifestants de la place Tahrir d’étrangers et de voyous, avait fait campagne, durant l’élection présidentielle, contre le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi. "Maspero", surnom de la chaîne publique, répond à présent aux directives du ministre de l’Information, Salah Abdel Maqsoud Metwalli, issu de la confrérie.
Depuis son arrivée au pouvoir, Mohamed Morsi souffle le chaud et le froid en matière de liberté des médias. Les rédacteurs en chef de la presse nationale sont désormais élus par une commission parlementaire, et non plus nommés directement par le gouvernement. Une cinquantaine de nouvelles têtes sont ainsi apparues dans les rédactions depuis le mois d'août. Ce mode de nomination, pour démocratique qu’il soit, ne laisse cependant pas de doute sur le profil recherché : favorable aux Frères musulmans.
Des premières preuves concrètes de cette dépendance des médias vis-à-vis du nouvel exécutif islamiste commencent à inquiéter sérieusement les journalistes. La couverture de “October magazine”, mensuel détenu par l’État, n’est pas passée inaperçue en titrant le mois dernier : "la révolution prend son envol", au-dessus d'une image de Morsi sur un cheval, en posture de conquête. Des journalistes rapportent que leurs articles, peu favorables aux Frères musulmans, ont été censurés par leur rédacteur en chef.
Au mois d’août, des journaux indépendants ont fait montre de leur inquiétude en publiant une zone vide, sans article, avec cette phrase surmontée de la photo et du nom d’éditorialistes connus : "Cette colonne est blanche en signe de protestation contre les tentatives des Frères musulmans de contrôler la presse nationale et les médias publics comme le faisait le parti du déchu".
Le cas le plus emblématique de ce bras de fer entre islamistes et médias est celui d’Islam Afify, rédacteur en chef d'"Al-Dostour", un quotidien anti-Frères musulmans, qui est poursuivi en diffamation par Essam El-Erian, président du parti Justice et Liberté, organe politique des Frères musulmans – le procès doit se tenir en octobre. Là encore, Mohamed Morsi a joué l'ambiguité : s'il a ordonné la fin de la détention provisoire du rédacteur en chef, ainsi que celle de tout journaliste qui serait poursuivi en justice, il n'en a pas pour autant aboli l’article 179 du code pénal sur la presse, qui prévoit une peine de prison contre toute publication qui "offense le chef de l’État".