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Rimsha Masih, une adolescente pakistanaise de confession chrétienne, pourrait être condamnée à mort pour avoir brûlé des pages du Coran. Connue pour sa dureté et son archaïsme, la loi contre le blasphème fait régulièrement polémique dans le pays.

En début d’année, Mehrabad faisait figure d’exemple au Pakistan. Dans ce quartier pauvre de la capitale Islamabad, les musulmans n’avaient pas hésité à contribuer à la construction d’une église destinée aux 500 familles de confession chrétienne. Tout un symbole dans un pays où cette minorité religieuse, qui représente à peine 2 % de la population, est souvent victime des pires brimades.

Mais, au fil des mois, des discordes entre les deux communautés sont apparues et, début août, les musulmans ont réclamé la fermeture de l’église. C’est dans ce contexte tendu qu’a éclaté l’affaire Rimsha Masih. Accusée de blasphème pour avoir brûlé des pages où étaient imprimés des versets du Coran, cette jeune chrétienne a été arrêtée le 16 août et placée en détention provisoire, après qu’un voisin musulman l’eut dénoncée. Elle encourt la peine de mort.

L’affaire est d’autant plus délicate que l’âge et la responsabilité mentale de la jeune fille font débat. Une source policière, s’appuyant sur un rapport médical effectué après son interpellation, la décrit comme une adolescente de 16 ans, analphabète. De son côté, Tahir Naveed Chaudhry, responsable d'une organisation pour les minorités au Pakistan, a affirmé que Rimsha serait une enfant âgée de 11 ou 12 ans, atteinte de trisomie 21. Dans le voisinage de la famille, on lui donne entre 10 et 13 ans.

Réactions outrées à travers le monde

Outrée, la communauté internationale s’est rapidement saisie de l’affaire. "Le gouvernement du Pakistan doit impérativement libérer Rimsha Masih et assurer sa protection ainsi que celle de sa famille et de leur communauté, a déclaré, depuis Washington, le très influent Conseil des relations américano-islamiques. L’arrestation d’une personne si jeune, surtout si elle est handicapée mentale, constitue une violation grave des principes fondamentaux de l’islam."

La France a condamné également fermement cette affaire et a appelé Islamabad à respecter ses engagements internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en 2010. "L'existence même du délit de blasphème porte atteinte aux libertés fondamentales, que sont la liberté de religion ou de conviction, ainsi que la liberté d'expression", a indiqué le ministère français des Affaires étrangères. Même son de cloche du côté d’Amnesty International, où l’on considère que cette affaire démontre la gravité de "l’érosion de l’état de droit".

Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, a, pour sa part, déclaré qu’il prenait "sérieusement en considération" l'arrestation et a demandé au ministère de l'Intérieur de présenter un rapport sur cette affaire. Interrogé par FRANCE 24, Fazal-ur Rehman Afridi, président de l’Institut de recherche et d’études stratégiques de Khyber (Iresk), estime que ces déclarations "manquent cruellement de substance". "Le président s’est exprimé sous la pression de la communauté internationale. Mais à l’heure où l’intolérance religieuse est à son apogée au Pakistan, pourquoi n’a-t-il pas le courage d’abroger ces lois ?", demande-t-il, rappelant qu’en tant que chef de la majorité au Parlement, le président pakistanais dispose de l’autorité nécessaire pour agir.

Une réforme de la loi anti-blasphème dans l’impasse

Visant initialement à renforcer la liberté religieuse, sanctionner le blasphème est une pratique datant de plusieurs siècles, lorsque le Pakistan et l’Inde ne faisaient qu’un. En 1986, sous la dictature du général Zia ul-Haq, un texte est voté pour islamiser et durcir davantage la loi existante. Le blasphème devient alors passible de peine de mort.

Bien qu’aujourd’hui une partie de la population, soutenue par la communauté internationale, soit en faveur d’un allègement de la loi contre le blasphème, la classe politique pakistanaise n’est pas près de présenter un amendement en ce sens. "Le gouvernement craint un soulèvement des musulmans radicaux qui ont le soutien d’une partie de l’opinion publique", explique Nazir S. Bhatti. Pour le président du Congrès chrétien pakistanais, l’espoir d’un changement est, en fait, entre les mains des États-Unis et de l’Europe. "S’ils conditionnent les fonds d’aide humanitaire en fonction du respect des droits de l’Homme et de la liberté de religion, on pourrait arriver à quelque chose", croit-il savoir.

Assassinats en série

En janvier 2011, le gouverneur de la province du Pendjab, Salman Taseer, avait été tué par son propre garde du corps pour avoir ouvertement soutenu Asia Bibi. Pendant des semaines, l’assassin est perçu comme un héro par une partie de la population tandis que des manifestations de soutien à la loi contre le blasphème se multiplient.

Deux mois plus tard, Shahbaz Bhatti, le ministre chrétien des Minorités religieuses était à son tour abattu pour avoir défendu un amendement visant à supprimer la peine de mort de la loi contre le blasphème.

Tandis que la population reste divisée sur la question, l’influence occidentale observée depuis plusieurs décennies pourrait faire son effet. "Il est tout à fait possible de faire évoluer l’état d’esprit des Pakistanais sur la question, notamment grâce aux madrasas qu’il faudrait moderniser. Dans ces écoles religieuses, on enseigne, encore aujourd’hui, la haine et l’intolérance envers les non-musulmans", rapporte Fazal-ur Rehman Afridi, qui a toutefois peu d’espoir pour le cas de Rimsha. "Même si elle venait à être libérée, elle finirait persécutée et tuée par des fanatiques religieux."

Incidents isolés ?

Bien que la peine de mort n’ait jamais été appliquée, la loi reste à l’origine de vives tensions et de crimes perpétrés en son nom. Ainsi, qu’ils aient été graciés par le président ou acquittés, les accusés sont bien souvent persécutés et exécutés une fois remis en liberté. Alors à Mehrabad, plusieurs familles auraient quitté le quartier depuis le début de l’affaire Rimsha, par crainte de représailles.

Mais Arooj Humayun, secrétaire général du centre culturel franco-pakistanais, tient à préciser que les affaires comme celle de Rimsha sont aujourd’hui des cas isolés qui n’arrivent qu’en banlieues et dans les campagnes reculées, où les habitudes archaïques sont encore bien présentes. "Querelles de voisins, corruption, extorsion, problèmes des minorités, pauvreté y sont monnaie courante. Il faut donc sensibiliser et inciter la population à cohabiter."

La communauté internationale reste malgré tout pessimiste quant à l’avenir de Rimsha dont l’histoire n’est pas sans rappeler celle d’Asia Bibi. Cette chrétienne d’une quarantaine d’année, mère de cinq enfants, avait été condamnée à mort pour blasphème en 2010. Plus de deux ans après, elle reste incarcérée et dans l’attente d’un nouveau jugement en appel devant la Haute Cour de Lahore.