À la veille du sommet du G20, plusieurs paradis fiscaux ont annoncé un assouplissement de leur secret bancaire. Christian Stoffaës, président du conseil du CEPII et professeur à l'université Paris-Dauphine, analyse la situation.
FRANCE 24: Quel est votre sentiment sur le "mea-culpa" des paradis fiscaux, à la veille du sommet du G20 ?
Christian Stoffaës : Il ne faut pas se leurrer. Quelles que soient les mesures promises par les paradis fiscaux, il y aura toujours des contournements. Ces pays courbent l’échine, font les modestes, en attendant que l'orage passe. Ce n’est pas la première tempête qu'ils affrontent et ils se sont toujours débrouillés pour passer au travers. Cette fois, elle est certes un peu plus forte, et certains risquent d’y laisser des plumes. En acceptant un assouplissement du secret bancaire dans l'espoir d'échapper aux foudres du sommet du G20, la Belgique, le Liechtenstein et Andorre ont fissuré le front, jusque-là solide, des paradis fiscaux et ont forcé l’Autriche, le Luxembourg et la Suisse à faire de même.
Toutefois, ce n’est pas parce qu’on leur demande de se suicider que ces pays vont le faire ! Tous n’ont pas envie de suivre l’exemple de l’Islande qui, après s’être spécialisée pendant 20 ans dans l'activité bancaire offshore, a été contrainte de retourner au commerce de la morue. Il faut réaliser que les grandes places financières dépendent aussi de ces paradis fiscaux, dans lesquels la plupart des grandes banques ont des succursales. Dois-je rappeler que la City réalise 20 % du PIB anglais ?
FRANCE 24 : Pensez-vous que les paradis fiscaux sont responsables de la crise ?
C. S. : C’est une bonne chose de lutter contre les paradis fiscaux, mais il ne faut pas leur mettre sur le dos la crise actuelle ! tout comme les fonds spéculatifs, les rémunérations excessives et les agences de notation, ils sont dans la ligne de mire, mais la raison essentielle de la crise est ailleurs : celle-ci s'est déclenchée parce que les banques ont spéculé sans fonds propres et parce que les assureurs qui couvraient leurs engagements n'avaient, eux, aucune provision. La solvabilité des établissements bancaires était ainsi à la merci du plus léger retournement du marché. Mais il faut un bouc émissaire et les États-Unis, la France ou l’Allemagne trouvent leur compte en s’attaquant aux paradis fiscaux.
FRANCE 24 : Quelle est donc la solution ?
C. S. : Ma théorie, c’est qu’il faut séparer les marchés financiers - domaine de la spéculation - du secteur régulé. Les banques doivent se recentrer sur leur véritable métier. Il ne faut surtout pas instaurer un contrôle total des marchés financiers : non seulement, ce n’est pas réaliste, mais ce serait, en outre, très mauvais pour l’économie.
D’ailleurs, Paul Volcker, l’ancien patron de la Réserve fédérale (Fed) américaine aujourd’hui à la tête du Comité de conseil économique de la Maison blanche chargé de superviser la politique de stabilisation des marchés financiers de l'administration Obama, a défendu la même théorie il y a quelques jours. Il a pris position en faveur du rétablissement de la loi de séparation des banques et des marchés financiers, le Glass Steagall Act, adoptée en 1933 et abrogée en 1999.