
Pourquoi le quartier nord d'Amiens s'est-il embrasé dans la nuit de lundi à mardi ? La réponse du gouvernement socialiste est-elle adaptée ? Éléments de réponse avec le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS.
Une centaine de policiers ont été dépêchés en renfort à Amiens mardi 14 août pour contrer d’éventuels nouveaux débordements après les violents affrontements qui ont éclaté dans la nuit de lundi à mardi dans la banlieue nord de cette agglomération. Seize policiers ont été blessés et des infrastructures publiques (gymnase, école maternelle…) incendiées.
Le président François Hollande a promis de mettre en oeuvre "tous les moyens de l'État" pour lutter contre les violences, tandis que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, s'est rendu sur place mardi après-midi. Il a parlé de "guérilla urbaine" et déclaré que "rien ne peut excuser, rien, qu'on tire sur des policiers, qu'on tire sur des forces de l'ordre et qu'on brûle des équipements publics". Hué à son arrivée sur place, le ministre a ensuite ajouté : "Je ne suis pas venu pour qu'on passe au kärcher ce quartier", en allusion à la phrase prononcée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, pendant une visite à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) en 2005.
Pourquoi Amiens brûle-t-il ? Et comment analyser la réaction du gouvernement de Jean-Marc Ayrault face à cette explosion de violence ? Décryptage avec Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherches au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie, Aix-en-Provence) et auteur de "Vous avez dit sécurité ?", ouvrage paru en 2012 aux éditions du Champ social.
FRANCE 24 : Comment expliquer que ce quartier d’Amiens s’enflamme ?
Laurent Mucchielli : Il ne s’agit pas d’un cas classique d’émeutes, qui sont généralement déclenchées par la mort d’un homme, lors d’une interaction entre des jeunes et des policiers – il s’agit des cas les plus classiques depuis la fin des années 1970.
Ceci dit, au sujet de la banlieue nord d’Amiens, on est sur un territoire très tendu. On en parle peu souvent, contrairement aux banlieues parisiennes ou marseillaises. Mais quand on connaît un peu les problèmes des quartiers populaires, ce territoire est bien connu. Une dizaine de "mini-émeutes" ont été signalés dans ce même quartier au cours des deux dernières années. Si on suivait le "Courrier Picard" sur une année complète, on verrait bien émerger ces tensions.
Il s’agit d’un endroit sensible, d’une situation tendue, d’un quartier très pauvre. Le contrôle de police qui a eu lieu, aussi anecdotique soit-il, représente la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Une émeute est une explosion qui ne peut se comprendre que si on observe ce qui se passe toute l’année.
Il faut aussi comprendre le contexte socio-économique : nous atteignons le plus haut niveau de chômage depuis 10 ans. Cette toile de fond explique la prégnance des trafics de drogue et l’accumulation de faits divers locaux qui réveillent une colère sourde.
Est-ce que l’été est un moment propice aux émeutes ?
Souvenez-vous de juillet 1981, quand des premières émeutes avaient éclaté dans des quartiers de Lyon puis de Paris. La réponse de la gauche - pas immédiatement mais après une réflexion - avait été de mettre en place des opérations anti-été chaud, devenus ensuite des opérations "ville-vie-vacances". Certains tissus associatifs sont très actifs l’été, d’autres moins. De toute manière, l’ensemble de cette mobilisation atteint forcément ses limites, les gens prennent leurs congés… C’est l’effet "zone déserte" de l’été.
Comment analysez-vous les réactions du gouvernement ?
Un gouvernement en place réagit à chaud en souhaitant naturellement le rétablissement de l’ordre. Son discours est ferme, comme il se doit. Le gouvernement répond ainsi aux critiques sur le prétendu laxisme de la gauche.
Ce qui est étonnant et inquiétant, en revanche, c’est que ces hommes politiques s’en tiennent au discours sécuritaire. Ils n’ajoutent pas un "mais par ailleurs, nous sommes bien conscients de la situation de la jeunesse dans ces quartiers, et nous allons lutter de telle et telle manière contre le chômage, nous allons travailler pour que dans les prochains mois, une police de proximité se développe, etc. ". J’attends du ministère de l’Intérieur qu’il dise que la sécurité durable d’un territoire n’est pas seulement une question de pression policière. Car dans la réalité, les problèmes ne sont pas saucissonnés.
C’est d’autant plus étonnant que cette ambition sociale figure dans le programme de la gauche. Le gouvernement pourrait vanter la création durant l’été de quinze Zones de sécurité prioritaires (ZSP), qui concerne précisément Amiens-nord.
L’absence d’un discours plus empathique témoigne peut-être de la peur de ce gouvernement de gauche d’être critiqué par la droite, une peur de se faire taxer d’angélisme qui les paralyse - c’est une hypothèse. Ces dernières années, la gauche a perdu une bataille intellectuelle sur le thème de la sécurité - la droite s’en est même vantée. Il peut également s’agir d’un enfermement dans le temps événementiel, dans le présent et la réaction à chaud.