La justice militaire libanaise a mis en examen un ancien ministre proche de Damas et deux hauts responsables syriens. Ils sont accusés d'avoir préparé des attentats dans le nord du Liban afin de déstabiliser le pays, au profit du régime syrien.
Depuis le début du soulèvement en Syrie en mars 2011, le Liban craint de voir déborder sur son territoire la crise qui fait vaciller le régime du président Bachar al-Assad. L’opposition libanaise anti-syrienne redoute notamment que le pouvoir en place à Damas créé des troubles chez son voisin, afin de régionaliser le conflit et détourner l’attention de la campagne de répression en cours en Syrie.
L’ancien ministre passe aux aveux
L’arrestation le 9 août à son domicile de l'ancien ministre libanais Michel Samaha, connu pour sa proximité avec Damas et son amitié personnelle avec le président syrien, est venue corroborer cette crainte. Et pour cause, la justice militaire libanaise, compétente en matière de sécurité de l'État, accuse celui-ci d’être impliqué dans un complot visant à déclencher une nouvelle guerre confessionnelle dans le pays du Cèdre.
Selon les médias libanais, Michel Samaha aurait reconnu, lors d’un interrogatoire, avoir transporté et stocké des explosifs devant servir à une série d'attentats dans le nord du Liban. Des attentats ayant pour cible la communauté sunnite d'une part, et des personnalités politiques et religieuses, comme le patriarche maronite Mgr Béchara Raï, d'autre part. Et ce, dans le but de provoquer "des tueries interconfessionnelles et des actes terroristes", selon une source judiciaire citée par l’AFP.
Michel Samaha a été dénoncé par l’un de ses hommes de confiance, chargé de perpétrer les attentats. Les Forces de sécurité intérieure (FSI), la gendarmerie libanaise, lui avaient confié une microcaméra afin de confondre l’ancien ministre. "Ces preuves filmées ainsi que d’autres éléments pour l’instant gardés secrets par la justice auraient poussé Michel Samaha à avouer son dessein", explique, sous couvert de l'anonymat, un ancien magistrat libanais bien informé, contacté par FRANCE 24.
La justice défie le régime syrien
Le puissant général syrien Ali Mamlouk ainsi qu’un de ses collaborateurs identifié comme "le colonel Adnane" sont également dans le collimateur de la justice militaire libanaise, qui les soupçonne d'avoir orchestré le projet d’attentats et chargé l’ancien ministre libanais de les organiser. Le général Ali Mamlouk est le chef du bureau de la Sécurité nationale, qui chapeaute l'ensemble de l'appareil sécuritaire du régime syrien sous l’égide du président Bachar al-Assad.
Autant dire que la mise en examen samedi de ces trois hommes a eu l’effet d’un cataclysme à Beyrouth. "Jamais dans l’histoire du Liban, un doigt accusateur n’avait été aussi officiellement pointé sur le régime syrien, accusé depuis une quarantaine d’année d’attiser les tensions confessionnelles et de déstabiliser le pays via ses alliés libanais au gré de ses intérêts", confie à FRANCE 24 l’ancien magistrat libanais joint au téléphone à Beyrouth.
Parmi les personnalités visées par le projet d’attentats se trouvent Khaled al-Daher, député du Nord proche de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et farouche opposant au régime syrien. "Mon nom était sur la liste, selon les aveux de Michel Samaha qui ont fuité dans les médias", confirme-t-il à FRANCE 24. Et de poursuivre : "Le Liban a échappé au pire, car en ciblant le nord du pays, que Damas présente comme un sanctuaire des rebelles syriens, Bachar et ses affidés libanais cherchaient à semer le chaos et à créer des troubles interreligieux chez nous."
Si le président libanais Michel Sleimane n’a pas hésité à saluer le travail des FSI "grâce auxquelles le pays a évité une catastrophe", les alliés politiques libanais de Damas se sont abstenus de tout commentaire, à l’instar du régime syrien d’ailleurs. Selon Amin Hoteit, analyste politique proche de la majorité libanaise dominée par le Hezbollah qui soutient le régime syrien, le silence radio observé par ce camp s’explique par sa méfiance vis-à-vis la véracité des faits reprochés à l’ancien ministre Michel Samaha. "L’enquête n’est pas terminée et la justice n’a rendu aucun verdict. Toutefois, si les faits sont avérés, le Hezbollah ne pourra pas cautionner de tels actes qui auraient pu mener au pire", explique-t-il sur l’antenne arabe de FRANCE 24.
Machination antisyrienne ou complot contre le Liban ?
Sans attendre les conclusions de l’enquête toujours en cours, la presse libanaise proche de l’opposition a salué le travail des gendarmes libanais et "le courage" du juge Sami Sader, qui a mis en examen les trois suspects dans une affaire qui apparaît comme un tournant des relations entre le Liban et son puissant voisin syrien. "En acceptant de devenir rien de plus qu’un artificier du régime, Michel Samaha, pris la main dans le sac, vient de contribuer à retracer un périmètre de souveraineté et d’indépendance à l’État libanais par rapport au régime de Damas", écrit l’éditorialiste du quotidien francophone "L’Orient-le-Jour", Michel Hajji Georgiou.
A contrario, la presse proche du camp prosyrien exprime ses doutes et évoque un complot contre le régime syrien. Charles Ayoub, parton du quotidien "Al-Diyar" et connu pour avoir été un farouche partisan du régime syrien, juge dans son éditorial que Michel Samaha a été piégé par des services de renseignements étrangers et libanais, pour mettre en accusation le président Assad, via ses services de sécurité.
Le quotidien "Al-Safir" évoque pour sa part une affaire "hollywoodienne", puisque selon les fuites de l’enquête, l’ancien ministre aurait transporté en personne les explosifs de Damas à Beyrouth. Le fait que l'arrestation et les perquisitions aient été menée par les FSI, réputés proches de l'opposition et de la classe politique sunnite, a contribué à alimenter les doutes sur une éventuelle machination politique.
"Michel Samaha est un fidèle serviteur du régime syrien et entretient des rapports directs avec Bachar al-Assad, par conséquent, vu la puissance du personnage, il n’a pu être arrêté sans preuves accablantes qui n’ont laissé aucune place au doute", objecte le député Khaled al-Daher.
La balle est désormais dans le camp de la justice militaire libanaise qui maintient Michel Samaha en détention, afin de poursuivre son interrogatoire tout au long de la semaine à venir.