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Au Soudan du Sud, on meurt dans le silence

Les combats dans les États du Nil Bleu et du Kordofan-Sud, situé au Nord Soudan, ont forcé à l'exil plus de 170 000 personnes, réfugiées chez leur voisin du Sud. Mais en pleine saison des pluies, les ONG crient à la catastrophe humanitaire.

L’eau a transformé la terre rouge en linceul. Au milieu des tentes blanches du camp de réfugiés de Yida, à la frontière nord du Soudan du Sud, les enfants en bas âge n’ont plus la force de sauter dans les flaques, les jerrycans dégorgent d’une eau infectée. C’est la saison des pluies. C’est la saison des larmes. 

"La saison des pluies a fait de ces camps un enfer", estime Bart Janssens, le directeur des opérations de MSF au Soudan. Le camp de l’État d’Unity  est inondé et surpeuplé. Initialement prévu pour 15 000, Yida abrite plus de 55 000 personnes qui ont fui les violents combats des Monts Nuba, dans la région du Kordofan-Sud, au Soudan. Mais au bout du périple éreintant - plusieurs jours de marche, souvent sans se nourrir, avec des enfants en mauvaise santé – c’est un nouveau désastre qui les attend.

"Ici, l'abri n'est pas assez bien. Quand il pleut, il pleut à l'intérieur, alors souvent nous allons chez nos voisins. Quand ça s'arrête, nous rentrons dormir sur un sol mouillé. Les vêtements que nous portons sont les seuls que nous avons. Nous n'avons rien", se désole au micro de l'agence Reuters, Asia Kafi Jerad, réfugiée soudanaise à Yida. Derrière elle, un petit enfant -  le sien peut-être -  dort d’un sommeil fiévreux, le souffle trop rapide, sur l’une des dizaines de nattes alignées sous la tente dressée par les humanitaires.
À Yida, cinq enfants meurent par jour en moyenne depuis le mois de juin ; dans le camp de Batil, dans la région du Nil supérieur, un sur trois souffre de malnutrition, des chiffres qui dépassent les seuils d’urgences, selon les études épidémiologiques menées par MSF. "La majorité de nos patients dans les deux camps sont des enfants malnutris, affaiblis par la diarrhée, le paludisme ou les infections respiratoires. Pris dans un cercle vicieux qui entraîne des complications, beaucoup d’entre eux ne survivent pas", explique dans un communiqué André Heller-Perrache, chef de mission MSF au Soudan du Sud.
Le camp, isolé par les pluies qui rendent les routes impraticables, manque d’eau potable, de nourriture, de médicaments. MSF, qui redoute l’explosion d’une épidémie de choléra et de paludisme, distribue huit litres d’eau par personne et par jour, une quantité insuffisante. Face à l’urgence, l’hôpital humanitaire a doublé ses lits, mais ne peut plus qu’accepter les patients dont le pronostique vital est engagé.
Des poches de violences résistent dans le Nord
Yida représentait pourtant une planche de salut pour ces réfugiés qui ont commencé leur périple à quelques dizaines de kilomètres de là, derrière la frontière qui sépare les deux Soudans depuis la proclamation d’indépendance du Sud le 9 juillet 2011.

La création du jeune État a mis un terme à l’une des plus longues guerres civiles d’Afrique (1956-1972 et 1983-2005) qui a opposé le Soudan du Nord -  arabe et musulman - au Sud - noir, chrétien et animiste. Mais deux unités de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), fer de lance du nationalisme sudiste, se battent toujours dans les provinces du Kordofan-Sud et du Nil  Bleu, rattachées au Nord dans l’accord de paix. La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, en tournée sur le continent africain, a d'ailleurs fait escale vendredi à Juba, capitale du Soudan du Sud, pour exhorter les deux pays à régler leurs différends, qui ont forcé à l'exode plus de 170 000 personnes. 

Jahra Farjahlla, réfugiée soudanaise, a été transféré en mars avec Youssouf, son fils de 10 ans, du poste frontière d’Al Fuj jusqu’au camp de Jamam, dans l’État du Haut Nil : "Je me sens mieux à Jamam parce qu’on n’entend plus le 'tak tak tak' des armes. Avant, c’était différent avec le bruit des Antonov au-dessus de nos têtes. Chaque fois que nous entendions le bruit d’un avion, nous nous mettions à courir", témoigne-t-elle auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Les opérations humanitaires proches du point de rupture
Des réfugiés, comme elle, affluent tous les jours dans les camps humanitaires du Soudan du Sud : au moins 55 000 personnes venues du Kordofan-Sud sont à Yida, 110 000, originaires de la région du Nil Bleu, sont à l'abri dans l’État du Haut Nil, selon le HCR. 

Pour faire face, le Programme alimentaire mondial doit parachuter 5 000 tonnes de nourriture d'ici à deux semaines. Mais les humanitaires sont dépassés. Le 4 juillet, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, António Guterres, avertissait que les opérations d'aide humanitaire se rapprochaient du point de rupture : "La combinaison entre les conditions difficiles et dangereuses au Soudan du Sud et l'importante population réfugiée arrivant dans ce pays mettent nos opérations à rude épreuve", déclarait-il, demandant le déblocage d’une aide d’urgence.

Une alerte relayée début août par MSF qui a lancé un appel aux dons. Les agents de terrain constatent chaque jour un peu plus la dégradation de la situation sanitaire. Johan Sommansson, coordinateur de terrain pour MSF à Yida, en perd les mots : "Chaque jour, nous perdons un ou plusieurs patients à l’hôpital. Ça se voit dans le regard des médecins. Un silence s’installe dans l’équipe. Nul besoin de parler, nous savons." Maintenant, nous savons aussi.