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Mitt Romney est-il trop riche pour la Maison Blanche ?

Dans un contexte de crise économique obligeant les Américains aux sacrifices, la fortune personnelle du candidat républicain à la présidence pourrait constituer le principal obstacle dans sa course à la Maison Blanche.

On attribue à l’écrivain américain John Steinbeck ce célèbre aphorisme : "Le socialisme n'a jamais pris racine aux États-Unis parce que les pauvres ne se voient pas comme des personnes que l'on exploite mais comme des millionnaires provisoirement dans le besoin." Un sondage mené en mai dernier par l’institut américain Gallup démontre que l’auteur putatif de cette lapidaire analyse avait vu juste. Quelque 63 % des Américains pensent en effet que les riches sont bénéfiques à leur pays. Et ils sont tout autant à avouer qu’ils aimeraient appartenir à cette classe sociale.

Au vu de ces chiffres, le candidat républicain à la Maison Blanche, Mitt Romney, est en droit de penser que sa fortune personnelle ne devrait pas entraver sa campagne. Ex-gouverneur du Massachusetts, l’ancien dirigeant et co-fondateur du fonds d’investissements Bain Capital pèse environ 250 millions de dollars – si on exclut les 100 millions de dollars qu'il a légués à ses cinq fils. Le poulain du Grand Old Party (GOP) possède plusieurs propriétés somptueuses, dont une immense maison de bord de mer à San Diego, en Californie. Selon le magazine "Forbes", en cas de victoire en novembre, Romney deviendrait le président le plus riche de l’Histoire des États-Unis.

Seulement voilà, en ces temps de crise obligeant les Américains aux sacrifices, les replets comptes en banque de Romney pourraient constituer un obstacle de taille dans sa course à la présidence. Encore plus s’il s’obstine à rester secret sur les zones d’ombre qui entourent son enrichissement personnel.

À plusieurs reprises, le républicain a fait de sa réussite professionnelle un argument de campagne contre Barack Obama à qui il reproche de ne pas avoir fait suffisamment pour l'emploi et la croissance. Les enquêtes d’opinion laissent toutefois entendre qu’en dépit des mauvais chiffres du chômage et de la fragile cote de popularité du président sortant, les électeurs américains demeurent encore peu sensibles à ce discours.

"Il est des périodes où être riche peut paraître indécent, observe Karlyn Bowman, analyste au sein d’American Enterprise Institute, un think tank orienté à droite. Cela est particulièrement vrai depuis la crise financière de 2008. Quand les temps sont durs, l’opulence peut être une arme politique" utilisée contre un candidat.

Burger dans l'Ohio contre bateau dans le New Hampshire

De récents sondages démontrent en outre que dans plusieurs États déterminants (les "Swing States"), l’offensive campagne publicitaire lancée par Obama contre les juteuses affaires de son adversaire républicain a porté ses fruits. Une stratégie d’autant plus payante qu’elle a permis à l’actuel président de déplacer, cette semaine, l’attention médiatique, jusqu’alors portée sur la fragile santé économique du pays, vers la manière dont l’ancien dirigeant du fonds Bain Capital a bien pu faire fleurir ses lucratives activités. Sous-entendu : peut-être aux dépens d’Américains de la classe ouvrière…

L’intéressé avait lui-même déjà ouvert la voie à l’équipe de campagne d’Obama lors de la primaire républicaine. Auteur récidiviste de mémorables bourdes, Romney s’est publiquement opposé à l’augmentation des impôts pour les entreprises car "ce sont aussi des gens", s’est vanté de posséder "deux Cadillac" et a lancé, en plein débat avec ses adversaires républicains, un pari à… 10 000 dollars. Autant de sorties intempestives qui lui ont valu d’être dépeint comme un candidat qui, comme l’affirme Thomas Mann de la Brookings Institution, "vit en dehors des réalités et ne nourrit que peu d’empathie envers les gens issus des milieux modestes".

Dès lors, Obama s’appliquera à entretenir cette image de riche qui colle à la peau de son adversaire afin d’apparaître, de son côté, sous un meilleur jour. Le week-end dernier, le président américain a annoncé qu’il avait annulé ses vacances prévues, comme chaque année en août, sur une île cossue de la Nouvelle-Angleterre, et s’est montré en train de dévorer un burger dans un restaurant ouvrier de l’Ohio, puis s’est prononcé en faveur d’une réforme fiscale visant les plus riches.

Dans le même temps, Romney a été vu en train de naviguer sur le lac jouxtant sa propriété du New Hampshire avant de présider un dîner de riches donateurs. Et, comme si ce n’était pas assez, le candidat républicain a, devant des journalistes, maladroitement exprimé le souhait de voir "davantage d’Américains pouvoir prendre des vacances".

Mauvaise fortune ?

Obama marche cependant sur des œufs. Avec une fortune estimée à 7,3 millions de dollars (issus, pour une grande partie, des ventes de ses livres) l’actuel chef de l’exécutif américain est, lui aussi, à l’abri du besoin et bénéficie du soutien de prestigieux bienfaiteurs, telles l’actrice Sarah Jessica Parker ou l’influente rédactrice en chef de "Vogue", Anna Wintour. Et son équipe de campagne prend toujours soin de préciser que leurs attaques anti-Romney ne sont en aucune manière une critique de la réussite sociale.

De fait, les principales flèches que les démocrates décochent en direction du républicain concernent ses méthodes en affaires, que d’aucuns jugent peu conformes au rêve américain. "Son talon d’Achille n’est pas le fait d’être riche, ce à quoi la plupart de ses compatriotes aspirent, mais les moyens utilisés pour y parvenir", analyse Thomas Mann.

Dans les colonnes du "New York Times", cette semaine, le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, réputé à gauche, compare Mitt Romney à son père George, un ancien gouverneur et haut cadre de l’industrie automobile. "Contrairement à son père, [Mitt] Romney ne s’est pas enrichi en produisant des choses que les gens voulaient acheter ; il a bâti sa fortune grâce à des rouages financiers qui, dans de nombreux cas, ont laissé des travailleurs sur le carreau et mené certaines entreprises à la faillite".

Ces "rouages", Mitt Romney les a assemblés à Bain Capital, fonds d’investissement grâce auquel il affirme avoir créé des dizaines de milliers d’emplois en améliorant les performances de sociétés qu’il avait rachetées. Certains qui ont pu côtoyer Romney au sein de son ancien groupe ont de toutes autres versions des faits. Dans l’une de ses éditions de juin, le "New York Times" rapportait que certains ex-responsables de Bain Capital s’étaient bien rempli les poches pendant que plusieurs entreprises qu’ils avaient acquises étaient au bord de la faillite et licenciaient.

Des accusations par trop abusives pour nombre d’initiés qui n’ont pas hésité à voler au secours de l’accusé. À en croire Paul Levy, fondateur du fonds d’investissement JLL Partners, les attaques dont fait l’objet le passé de Romney à Bain Capital sont injustes. "Personne dans un fonds d’investissement ne souhaite la mort d’une entreprise ou ne l’achète dans le but de la détruire", assure l’homme d’affaires, qui a voté pour Obama en 2008 mais soutient aujourd’hui financièrement Romney. "Bain Capital est une société de grande qualité et de bonne réputation, connue pour sa rigueur. Mais, comme toutes les autres firmes, elle a conclu des affaires qui n’ont pas marché."

Il n’empêche, le récit des anciennes pratiques du républicain fait toujours grincer des dents. Cité par le magazine "Vanity Fair", un ancien employé de Bain Capital a récemment affirmé que Romney l’avait poussé à mentir dans le but d’obtenir des informations confidentielles sur des concurrents. Et, rappelle l’article, bien qu’il ait lâché les rênes du groupe en 1999, le candidat républicain continue d’en percevoir de substantielles sommes (ces derniers mois, le montant des revenus ont atteint les 2 millions de dollars).

Manque de transparence

Le peu d’empressement que montre Romney à s’attarder sur ses finances a fini par propulser les critiques sur le terrain politique. Cette année, au plus fort de la primaire républicaine, l’ancien gouverneur du Massachusetts a refusé, comme le lui demandaient ses adversaires au sein du parti, de rendre public son patrimoine. Lorsqu’il s’est finalement résigné à lever le voile sur une seule année fiscale, il est apparu qu’il ne s’acquittait que de 13,9 % de ses 42,5 millions de dollars de revenus déclarés. Un faible pourcentage (moindre, en tout cas, que celui appliqué à la classe moyenne américaine) qui s’explique par le fait que Romney déclare ses émoluments de Bain en tant qu’investissements et non en tant que salaires, alors taxés à hauteur de 35 %.

“Les candidats à la présidence américaine dévoilent d’ordinaire des avis d’imposition portant sur trois ans, rappelle Alex Raskolnikov, professeur de droit fiscal à l’université de Columbia. Romney rechigne à le faire car il sait que le faible taux dont il bénéficie fera un sujet de conversation."

Au moins pourra-t-il peut-être faire oublier l’un des plus gros cailloux qui traînent dans la chaussure du candidat républicain. Toujours lors de la primaire, il avait été révélé que ce dernier détenait 30 millions de dollars reposant dans des paradis fiscaux comme la Suisse, les Îles Caïmans et les Bermudes. Une anomalie que l'un des principaux rivaux d'alors, Newt Gingrich, n'avait pas manqué de souligner en s'exclamant : "Je ne connais aucun président américain qui eut possédé une compte en Suisse".

Le camp Obama espère bien tirer, en novembre, tous les bénéfices électoraux de ces privilèges, de ces sommes faramineuses et de ces évasives explications. Romney, pour sa part, tentera encore de convaincre les Américains de sa capacité à mettre ses compétences entrepreneuriales au service d’une moribonde économie américaine. Certains électeurs en sont convaincus. "Contrairement à Obama, Romney connaît le monde des affaires et est persuadé que les profits bénéficient non seulement aux investisseurs mais aussi aux travailleurs et, plus généralement, à la société", s’enthousiasme Paul Levy. Avant d’ajouter : "Moi, je signe beaucoup de chèques pour Mitt Romney."