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La Tunisie s'engage seule dans la relance de l’Union du Maghreb

L’empressement du président tunisien à relancer le processus d’Union du Maghreb est accueilli avec scepticisme par l'Algerie et le Maroc. Pour les deux plus influents pays de la région, la question n’est plus une priorité.

Le Maghreb s’est un temps rêvé comme un espace dans lequel, à l’instar de Schengen en Europe, les citoyens pourraient se déplacer sans passeport. Mais depuis sa création en 1989, l’Union du Maghreb (UM, ex-Union du Maghreb arabe) se trouve dans une impasse, notamment en raison de tensions entre Alger et Rabat sur le statut du Sahara occidental. Une brouille tenace entre les deux plus grands pays de la région, qui n’a pas empêché le président tunisien, Moncef Marzouki, de faire de la relance de la construction de l’UM l’une de ses priorités.

Ainsi, Tunis a décidé qu’à partir du 1er juillet, les ressortissants algériens, marocains et mauritaniens n’auront besoin que d’une simple carte d’identité pour entrer en Tunisie.

Cette mesure, présentée comme un premier pas vers la libre circulation des biens et des personnes dans l’ensemble des pays du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye), a été accueillie avec scepticisme par plusieurs observateurs de la région, qui mettent en avant l’opportunisme du président tunisien.

“Marzouki s’agite, il gesticule pour faire oublier ses problèmes sur le plan intérieur, où Ennahda [le parti islamiste au pouvoir, NDLR] lui laisse peu de marge de manœuvre”, estime Khadija Mohsen-Finan, maître de conférence à l’université Paris-VIII et chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Contactée par FRANCE 24, elle juge inopportune l’initiative du chef de l’État tunisien qui cherche, selon elle, à “marquer sa présidence d’une mesure symbolique”. “Les esprits sont ailleurs en ce moment. Les gouvernements des pays du Maghreb ont bien d’autres soucis, que ce soit sur le plan économique ou sur celui de la politique intérieure.”

L’Algérie “pas concernée” par l’ouverture des frontières

Dans le reste du Maghreb, l’allégement des contrôles aux frontières ne semble pas être à l’ordre du jour. Si le Maroc et la Mauritanie n’ont pas encore réagi, les autorités algériennes estiment, selon le journal El-Khabar, ne pas se sentir “concernées” par cette mesure “anticipée” et “unilatérale”.

Citée par le quotidien algérien, une source au sein du ministère des Affaires étrangères assure qu’en raison "des menaces sécuritaires grandissantes au niveau du triangle frontalier Algérie, Tunisie et Libye” où gravitent “des mouvements de groupes terroristes”, l’Algérie n’appliquera pas le principe de réciprocité. En clair : Alger ne veut pas entendre parler d’une ouverture, même partielle, de ses frontières avec la Tunisie et encore moins avec le Maroc, celles-ci étant fermées depuis 1994 en raison de leur différend sur le Sahara occidental.

“Les problèmes sécuritaires évoqués par Alger sont bien réels, note Khadija Mohsen-Finan. Depuis la chute de Kadhafi, la Libye est devenue un arsenal à ciel ouvert. Ouvrir aujourd’hui les frontières du Maghreb renforcerait le trafic d’armes, de stupéfiants et d’argent liquide. Les services de renseignement algériens, qui sont les plus pointus de la région, en ont bien conscience.”

Crainte de contagion du "modèle tunisien"

Derrière les questions sécuritaires se cachent également des enjeux moins avouables pour les pouvoirs en place au Maghreb, ébranlés par la révolution tunisienne qui a jeté les bases du premier système démocratique de la région. “La libre circulation des hommes et des biens entraîne de facto la libre circulation des idées”, précise Khadija Mohsen-Finan.

Selon elle, les voisins de la Tunisie redoutent un effet de contagion. “L’Algérie peine à se réformer et craint par dessus tout que s’impose à elle le modèle tunisien. Quant au Maroc, les autorités veulent d’un changement qui vient d’en haut, un renouveau orchestré par la monarchie.”

À défaut de convaincre les pays de la région de reprendre le chemin de l'intégration, la proposition du président tunisien a toutefois le mérite de relancer la question de l'unité du Maghreb, dans la perspective du prochain sommet de l'UM, qui devrait avoir lieu le 10 octobre prochain, à Tabarka (Tunisie).