, envoyée spéciale au Caire – Mardi soir vers 23 heures, la nouvelle a rapidement circulé sur tous les téléphones de la place Tahrir, où des milliers de personnes se sont à nouveau mobilisées contre l'armée : "Hosni Moubarak est déclaré cliniquement mort". Réactions.
Mardi soir, place Tahrir, au Caire. Les Frères musulmans et les révolutionnaires sont à nouveau réunis pour réclamer le départ de l’armée du pouvoir. Sur un podium, activistes et politiques enchaînent les discours dénonçant le "coup constitutionnel" des militaires, qui viennent de s’octroyer de vastes prérogatives leur permettant de continuer à jouer un rôle politique majeur, quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle. Et puis, soudain, la nouvelle tombe : Hosni Moubarak est déclaré cliniquement mort. Après quelques secondes de confusion, une clameur assourdissante envahit la place...
Un groupe de femmes portant le niqab se met à danser, sourire aux lèvres, agitant les bras au-dessus de la tête. "Elle se réjouissent de la mort de Moubarak", expliquent leurs maris, alors que leurs enfants, à peine âgés de 10 ans, s’empressent de dire qu’ils sont tristes. "Je ne voulais pas qu’il meure naturellement. Je voulais qu’ils soit exécuté", dit Hassan, faisant mine de se trancher la gorge d’un geste de la main. "Je m’en fiche que Moubarak soit mort. L’important, c’est pas lui. C’est la Révolution", lance Chadil, qui appartient lui au Mouvement du 25-Janvier, à l’origine de la révolution qui a précipité la chute du raïs. Comme beaucoup, il doute de l'information annoncée par l’agence de presse officielle Mena. "On ne sait même pas s’il est mort. Les médias ont tellement l’habitude de nous mentir que je ne sais pas si on doit les croire. Mais si c’est vrai, on tourne enfin une sale page de l’Histoire." Son oncle, lui, veut y croire : "Bon débarras ! Il était à la source de tous les maux de l’Égypte. Aujourd’hui, cette source s’éteint".
"Vous verrez, Moubarak aura un très bon plan de sortie !"
Dans la rue égyptienne, beaucoup pensent qu’il s’agit d’un "coup monté". Comme Ali, la cinquantaine, issu de la classe moyenne cairote. "À mon avis, c’est une manipulation de l’armée qui a incité les médecins à provoquer sa mort afin de déclencher un regain d'émotion dont l’armée a besoin en ces temps cruciaux. Je ne suis ni heureux, ni triste parce que c’est un jeu", assure-t-il tout en achetant une boisson dans une échoppe où le vendeur engage la conversation. "Mort ou vivant, cela ne fait aucune différence, car les Égyptiens n’ont aucun sentiment pour lui. On s’en fout de Moubarak !", lance ce dernier.
Mostafa El-Gamal, qui brandit le portrait de Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans à la présidentielle, estime qu’il s’agit d’une véritable manipulation. "On lui a fait une injection et il va être transporté par avion dans un autre pays où il sera très heureux avec tout son argent ! Je connais une personne très proche de lui qui m’a dit il y a dix jours : 'Vous verrez, Moubarak aura un très bon plan de sortie !'". Une rumeur que l’on entend régulièrement en Égypte depuis que l’ancien président est entre la vie et la mort. Cet homme portant un kéfier blanc sur la tête ajoute : "J’ai été l’un des principaux suspects dans l’attentat qui a visé l’ambassade des États-Unis à Nairobi, en 1998. J’ai été inculpé sans preuve, puis jeté en prison par le régime de Moubarak pendant dix ans. En 2010, on a reconnu mon innocence. Moubarak détestait les Frères musulmans et j’en ai été victime. Ce soir, comment voulez-vous que je ne sois pas heureux que cette crapule ne soit enfin plus là !".
Chez les commerçants et dans les hôtels près de la place Tahrir, où beaucoup regrettent la prospérité économique et touristique de l’ère Moubarak, les visages sont tristes et on ne préfère pas y croire. Mais on est suspendu aux dernières nouvelles, les yeux rivés sur la chaîne Nile TV. Bientôt les nouvelles se font plus rassurantes. Celui qui a dirigé pendant 30 ans le pays n’aurait pas encore rendu son dernier souffle.