Plus de mille artistes roumains, dont l'écrivain Norman Manea (photo),inquiets pour l'avenir de la culture, se sont mobilisés ce dimanche contre le nouveau gouvernement coupable, selon eux, de "pratiques brutales et d'arrogances".
AFP - "Epuration", "pratique brutale, inquiétante" : des centaines d'artistes roumains dont certains célèbres dans le monde entier étaient mobilisés dimanche contre un "diktat" du nouveau gouvernement qui menace, selon eux, l'Institut culturel roumain et le rayonnement du pays à l'étranger.
"Il serait désastreux que les pratiques brutales et l'arrogance des politiciens d'hier et d'aujourd'hui dirigent de manière néfaste le destin de la culture", a estimé l'écrivain Norman Manea, prix Médicis en France.
Comme lui, plus de 1.100 artistes dont les cinéastes de la nouvelle vague roumaine primés à Cannes, ont signé une pétition en ligne demandant au Premier ministre social-démocrate Victor Ponta d'annuler une décision contestée.
Une mobilisation forte, rapide et large relativement rare dans un pays sorti de la dictature il y a 23 ans.
Ces artistes et intellectuels s'élèvent contre une ordonnance d'urgence --décision sans débat au parlement, qualifiée de non démocratique-- prise mercredi par le gouvernement de l'Union sociale-libérale (USL), coalition de centre gauche au pouvoir.
Elle fait passer sous l'autorité du Sénat l'Institut culturel roumain (ICR), l'équivalent du British Council ou de l'Institut français. Avec pour conséquence à court terme le changement de l'équipe de direction.
"Epuration de la pire espèce", a déploré Cristian Mungiu, Palme d'Or à Cannes en 2007 et Prix du meilleur scénario cette année pour "Au-delà des collines".
"Malheureusement, en Roumanie, chaque fois qu'il y a un changement de gouvernement, les nouveaux jettent à la poubelle tout ce qui a été fait, même ce qui fonctionne bien. Ils rêvent de marquer l'histoire de leur empreinte", confie à l'AFP le cinéaste Cristi Puiu, prix un Certain Regard à Cannes, dénonçant un "diktat".
Depuis 2005, l'Institut culturel a aidé à la traduction de plus de 300 ouvrages d'auteurs roumains. En 2011, plus de deux millions de spectateurs ont assisté aux événements qu'il organise dans ses 17 antennes à l'étranger, de New York à Tel Aviv en passant par Paris.
Les artistes et le personnel de l'ICR craignent que, subordonné au Sénat, l'Institut ne devienne otage de "nominations politiques" et décline.
"Le comité pour la culture du Sénat, qui va maintenant contrôler l'ICR, est connu comme le berceau d'un nationalisme d'arrière-garde", ont déploré dans un communiqué huit organisations de défense de l'Etat de droit, dont Expert Forum.
Un mois après son arrivée au pouvoir, "la coalition USL cherche une revanche contre les voix indépendantes et met la pression sur les institutions indépendantes comme l'ICR", poursuivent-elles.
L'ICR était placé jusqu'à présent sous l'autorité symbolique de la présidence de Roumanie en vertu d'une loi adoptée à l'époque par le Parti social-démocrate (PSD) de M. Ponta. Mais aujourd'hui, le président Traian Basescu est issu du Parti démocrate-libéral (PDL), opposé au PSD.
M. Ponta s'est justifié en affirmant vouloir "dépolitiser" l'ICR.
Le président de l'Institut, Horia Patapievici, a démenti avoir subi une quelconque pression de la présidence.
Même ses détracteurs qui lui ont parfois reproché sa proximité personnelle avec M. Basescu, ont défendu son bilan.
"Je suis en désaccord idéologique avec M. Patapievici mais sous sa conduite l'ICR est devenu (...) une institution dont nous pouvons être fiers", souligne l'écrivain Vasile Ernu.
"Je suis surpris de voir que seulement un mois après avoir pris le pouvoir, vous et votre gouvernement souscrivez à la même logique de fonctionnement : ordonnances d'urgence, nominations politiques des fonctionnaires, revanchisme politique. N'est-ce pas ce que vous critiquiez avec tant de frénésie il y a quelques mois ?" a-t-il écrit à M. Ponta.