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Des voix alaouites s'élèvent contre le régime de Bachar al-Assad

Les alaouites, minorité à laquelle appartient le président Bachar al-Assad, sont en proie à des divisions. Alors qu'une majorité d'entre eux soutiennent le régime, des intellectuels de la communauté défendent la révolution.

"J’appelle les habitants du littoral à sortir et à se joindre à la contestation", déclarait l’actrice et militante syrienne Fadwa Souleimane sur l’antenne de FRANCE 24 fin mars. Elle s’adressait alors aux alaouites, la minorité à laquelle appartient le président Bachar al-Assad et qui peuple majoritairement les grandes villes côtières de la Syrie. Si elle a osé les interpeller aussi ouvertement, c’est parce que Fadwa Souleimane est elle aussi alaouite. Elle n’a pourtant pas hésité à se joindre aux insurgés à Homs, au péril de sa vie.

Des artistes et intellectuels alaouites au service de la révolution

Aujourd’hui réfugiée à Paris, elle n’a de cesse de réclamer une solution politique pacifique au conflit et d’interpeller ses coreligionnaires. "De même que le pouvoir utilise vos enfants pour tuer d’autres Syriens, ce sera un jour votre tour d’être tué si vous ne réagissez pas, si vous n’agissez pas en conscience", suppliait-elle encore au micro d’al-Arabiya, lors d’un rassemblement de l’opposition syrienne en avril à Paris.

Comme elle, d’autres figures de la communauté alaouite, artistes et intellectuels, ont fait le choix de se démarquer de leur communauté en se rangeant du côté de la révolution. Parmi eux, l’actrice Louise Abdel Karim ou encore l’écrivaine Samar Yazbek. Sur sa page Facebook, cette dernière interpellait déjà en août 2011 les membres de sa communauté. "Je sais que ces propos vous déplairont et que d’ailleurs vous m’avez déjà reniée, mais face à la situation aujourd’hui, il est impossible de rester neutre", commençait-elle. Elle s’efforçait ensuite de les convaincre de rejoindre la révolution des Syriens pour la liberté et de ne pas tomber dans le piège de la communautarisation.

La communauté en proie au malaise

Ainsi, tous les alaouites ne sont pas acquis au clan Assad. Certains membres du Conseil national syrien, la principale formation d’opposition, appartiennent d’ailleurs à cette confession. Sur Facebook, une page intitulée "Alawites in the Syrian Revolution" regroupe ces militants.

Pour Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, les alaouites qui s’engagent dans la révolution ne représente qu’une minorité. "Ce sont pour la plupart des intellectuels médiatiques qui essaient de se placer au-dessus de la question communautaire", remarque-t-il lors d’un entretien téléphonique avec FRANCE 24.

Ce qui ne signifie pas pour autant que le reste des alaouites soutient inconditionnellement le régime. "Il y a depuis le début des évènements en mars 2011 un malaise certain chez les alaouites", nuance-t-il. Un malaise qui s’est amplifié ces derniers mois. "Aujourd’hui, beaucoup de jeunes se font tuer dans les rangs de l’armée et cela attise la colère des alaouites." Fabrice Balanche raconte qu’il a pu, par le biais de ses contacts sur le terrain, sentir l’inquiétude grandissante de certains alaouites, du littoral syrien ou d’ailleurs.

Nombreux sont en effet les membres de la communauté alaouite qui commencent à douter de l’issue de la crise en Syrie. "Ils pensent que même si le régime l’emporte à court terme, ce qui reste possible, ce ne sera que provisoire, et que tôt ou tard une nouvelle contestation éclatera avec son lot de représailles éventuelles", résume Fabrice Balanche. Tout est dit.

"Les alaouites ont extrêmement peur de la vengeance des sunnites"

La peur, c’est ce qui explique l’attitude des alaouites, plus que jamais divisés. "Des membres de ma famille en Syrie sont morts, d’autres ont été blessés parce qu’ils font partie de l’armée syrienne", déplore sous couvert d’anonymat un père de famille syrien issu de cette minorité et vivant à Paris. "Le régime les utilise pour pouvoir rester au pouvoir et on ne voit pas d’issue à la crise", confie-t-il à FRANCE 24.

Si des voix parmi les alaouites s’élèvent pour dénoncer les massacres, notamment depuis celui de Houla le 25 mai dernier, il semble impossible que les alaouites se retournent massivement contre Assad. "Ils se montrent solidaires du régime par crainte, explique Fabrice Balanche. Les alaouites ont extrêmement peur de la vengeance des sunnites, si ces derniers venaient à l’emporter."

Ce sentiment persiste bien que les porte-voix officiels de l’opposition, comme le CNS, tentent d’apaiser la tension communautaire à son comble depuis le massacre de Houla. Le nouveau chef du CNS, Abdel Basset Sayda, tout juste élu, a ainsi affirmé qu'"il n'y aurait pas de discriminations basées sur le sexe ou l'appartenance à des communautés" et que "la Syrie nouvelle serait un Etat démocratique".

Sur le terrain, les choses ne paraissent pas aussi simples. "On assiste à une résurgence de rancœurs ancestrales entre les deux communautés, exacerbée par les évènements", estime Fabrice Balanche.

Ce ne serait en effet pas la première fois que les alaouites seraient la cible de violences de la part des sunnites. Comme le rappelle le chercheur, lors de l’insurrection des Frères musulmans dans les années 1980, une sorte de chasse aux alaouites avait eu lieu, principalement à Alep et dans la province d’Idleb. De nombreux alaouites avaient été tués, et des villages alaouites entiers de la région d’Idleb ont été vidés de leurs habitants, qui sont partis se réfugier dans les villes du littoral, comme Lattaquié. "Les alaouites n’ont jamais oublié cela et ce souvenir les pousse à faire corps avec le régime", analyse Fabrice Balanche.

Reste à savoir jusqu’où la majorité des alaouites est prête à aller pour garder le clan Assad au pouvoir alors que les pertes s’accroissent au fil des jours. Alors que le pays connaît une escalade de violences, peut-être ne resteront-ils plus sourds aux appels de certains d’entre eux de prendre position avant tout en tant que Syriens et non uniquement en tant que membres de la minorité du président.