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La hausse du nombre d'agressions contre des juifs relance le débat sur l'antisémitisme

Chiffres à l'appui, la communauté juive de France dénonce une recrudescence d'actes antisémites depuis "l'affaire Merah", comme l'illustrerait l'agression de Villeurbanne. Pic conjoncturel ou tendance lourde ? La polémique enfle.

"Cette agression avec usage de barres de fer et de marteau ne relève pas de l'altercation entre bandes mais d'une violence anti-juive univoque", déplore le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) dans un communiqué, à la suite de l’agression de trois jeunes juifs portant la kippa à Villeurbanne, samedi 2 juin. Un fait-divers qui a déclenché l’émoi de la communauté juive française déjà sensibilisée par l’affaire Merah, qui lui fait craindre une recrudescence de l’antisémitisme dans le pays.

L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) a alerté les autorités de l’existence "de zones où les citoyens juifs sont des cibles récurrentes des actes antisémites". Le Crif estime, lui, que "cet acte, loin d'être isolé, est à replacer dans la stupéfiante multiplication de violences antisémites qui ont suivi l’attentat meurtrier de l'école Ozar Hatorah à Toulouse". Quatre personnes, dont trois enfants, avaient été tuées devant cette école juive après l'assassinat de militaires à Toulouse et Montauban, les 11 et 15 mars.

En deux mois, les actes antisémites ont grimpé en flèche

Lundi, le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) - une organisation issue des institutions juives de France - a publié, lui, un rapport qui dénonce "l’explosion des actes anti-juifs en France" depuis l’attentat de Mohamed Merah. D’après les chiffres relevés par le SPCJ, en lien avec le ministère de l’Intérieur, 43 actions violentes et 105 menaces et actes d’intimidation contre des personnes issues de la communauté juive ont été recensés entre le 19 mars et le 30 avril - soit 148 actes antisémites -, contre 68 pour la même période en 2011.

Au-delà des chiffres, le SPCJ s’inquiète aussi du fait que "certains de leurs auteurs se sentent en empathie avec Mohamed Merah". Il recense notamment de nombreux incidents en milieu scolaire, comme des élèves qui refusent d’observer la minute de silence "pour des juifs" mais également des inscriptions faisant l’apologie du tueur de Toulouse. Le rapport relève notamment des inscriptions faites le 7 avril à Caluire-et-Cuire, une commune limitrophe de Lyon, où des bars ont été taggués de "Vive Mohamed Merah Nik les juifs".

"Il y a un avant et un après l’affaire Merah. Malgré la réprobation générale, il y a eu dans certains milieux un appétit à perpétuer cette violence", confirme Shmuel Trigano, professeur de sociologie à l’université Paris-X et auteur de "L’avenir des juifs de France" (2006, Grasset), dans un entretien accordé à FRANCE 24. Pour lui, le lien entre l’affaire Merah et l’agression dans la banlieue lyonnaise ne fait aucun doute : "L’agression de Villeurbanne s’inscrit chronologiquement dans une liste d’actes antisémites qui ont augmenté depuis l’affaire Merah", affirme-t-il.

Courbes instables

Pour Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS contacté par FRANCE 24, la recrudescence d’actes antisémites enregistrée à la suite de l’affaire Merah n’est pas sans précédents. "Les courbes de l’antisémitisme ne sont pas stables mais faites de pics qui retombent rapidement", explique le sociologue, pour qui "rien ne nous permet de faire le lien entre l’affaire Merah et le fait-divers de Villeurbanne. Il faut se méfier des généralisations".

Alors que le SPCJ constate l’existence d’un seuil structurel de quelque 500 actes antisémites par an qui se maintient depuis le début des années 2000, leur augmentation depuis deux mois est comparable au pic de 2009, année de l’opération israélienne "Plomb durci" à Gaza, où les actes antisémites (815) avaient doublé par rapport à l’année précédente. En 2010, les violences anti-juives étaient quasiment retombées de moitié pour faire un nouveau bond en 2011, au moment du Printemps arabe et des débats concernant le port du voile et les prières de rue.

Un racisme ordinaire

Reste que la courbe des actes antisémites n'est pas la seule à connaître des fluctuations. Laurent Mucchielli rappelle que l’affaire Merah a également déclenché un pic d’islamophobie en France, contribuant à "l’expression d’un discours raciste qui touche directement les Arabes et les musulmans et qui s’est concrétisé notamment par le score du Front national à la dernière élection présidentielle [sa candidate, Marine Le Pen, a recueilli près de 18 % des voix au premier tour, NDLR]."

Contacté par FRANCE 24, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) confirme ce phénomène. "Nous avons constaté une hausse d’actes islamophobes dans les semaines qui ont suivi l’affaire. Pour les seules plaintes qui nous ont été signalées, au moins cinq institutions ont été visées par des tags nazis, etc. Sans parler des insultes et des agressions dans la rue directement liées au drame de Toulouse", déclare Marcia Burnier, responsable de la communication du CCIF.

Hausse de l’antisémitisme et de l’islamophobie : ces deux phénomènes relèvent-ils d'un pic conjoncturel ou représentent-ils une tendance forte ? Laurent Mucchielli rappelle que l’existence de l’antisémitisme et de l’islamophobie en France est indéniable, "mais [qu'] aucune donnée ne nous permet de dire que cela empire. Il s’agit malheureusement d’un racisme ordinaire". Si tant est que le racisme puisse être banal. Mais ceci est un autre débat.