Le pape Benoît XVI devrait rendre sous peu sa décision sur la réintégration d’une partie de la Fraternité Saint-Pie X dans l’Église catholique. Une éventualité qui crée de vives inquiétudes.
Vatican II, le concile œcuménique historique qui a permis une relecture moderne de la doctrine catholique, est-il en danger ? C’est ce que craint une partie de la communauté catholique qui voit dans le réintégration des intégristes de la Fraternité Saint-Pie X une remise en cause des orientations les plus progressistes de l’Église au XXe siècle.
Longtemps souhaité par les traditionnalistes du Vatican, le processus de leur réintégration a officiellement été amorcé en janvier 2009 avec la levée de l’excommunication des quatre évêques ordonnée par Mgr Lefebvre. Le 18 avril dernier, le chef de cette communauté ultra-traditionnaliste, Mgr Bernard Fellay, a envoyé au Vatican une réponse à la proposition de réintégration au Saint-Siège, qui a été jugée "positive". La négociation est amorcée. La Congrégation pour la doctrine de la foi a étudié la missive et transmis ses conclusions au pape qui les examine actuellement.
Un accord se profilerait donc finalement après près de 25 ans de schisme et des années de tergiversations, jalonnées de tentatives de réconciliation manquées.
Fondée en 1970 par Mgr Marcel Lefebvre et séparée de Rome depuis 1988 en raison du concile Vatican II dont elle refuse de reconnaître les avancées, la Fraternité compte à travers le monde plus de 500 prêtres, des centaines de séminaristes et de religieuses.
Benoit XVI qui s’est engagé personnellement dans ce projet, peut désormais décider de l'issue ou choisir d'attendre de nouveaux approfondissements sur des questions doctrinales. Car le cœur de l’affaire réside bien là : les intégristes accepteront-ils de reconnaître les préceptes de Vatican II et jusqu’où Benoit XVI est-il prêt à aller pour les réintégrer ?
Pour Christian Terras, spécialiste du Vatican et rédacteur en chef de la revue "Golias", "Benoît XVI veut à tout prix cette réconciliation dont il a toujours parlé comme d’une ‘blessure de l’Eglise’". Dès 1988, le cardinal Joseph Ratzinger avait tout fait pour éviter le schisme et n’a eu de cesse d’œuvrer à la réconciliation depuis.
"Un retour en arrière"
Mais alors que le respect des préceptes de Vatican II était jusqu’ici officiellement considéré comme une condition sine qua non pour faire partie de l’Eglise, il semble aujourd’hui que certains membres du Vatican n’hésitent plus à relativiser ouvertement certains points d’achoppement avec les intégristes.
Le cardinal allemand Walter Brandmüller a estimé le 22 mai devant la presse que certains textes fondateurs de Vatican II comme "Nostra Aetate", sur les relations avec les autres religions, et "Dignitatis Humanae", sur la liberté religieuse, "avaient une valeur moins contraignante" que les autres. Selon lui, "on peut donc en parler" au sein de l'Eglise. Ces déclarations sont sans précédent. "Nostra Aetate", qui affirme que "ni la mort du Christ ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps", est considéré comme une étape historique dans l’histoire de la chrétienté après des siècles d’antisémitisme catholique.
Il s’agit en outre des deux points doctrinaux sur lesquels intégristes et catholiques fidèles au pape continuent de se quereller, les premiers refusant notamment tout dialogue avec les autres religions.
"On assiste bien à une remise en cause partielle de certaines innovations de Vatican II", confirme Odon Vallet, historien des religions. "Le Vatican fait quelques pas en arrière, poursuit-il. Mais cela ouvre la porte à toute sorte d’abus".
Les abus, c’est bien ce qui inquiète une partie des cardinaux : que les intégristes, une fois revenus dans le giron de Rome, puissent discuter ces points de doctrines.
" Benoit XVI ne représente plus qu’une minorité de catholiques"
Pour Odon Vallet, "la conséquence à prévoir au-delà de la réintégration des intégristes très minoritaires, c’est la droitisation progressive d’une partie du clergé, même en France". Une droitisation qui ne sera certainement pas du goût de tous.
On se souvient de l’indignation d’une partie importante des catholiques suscitée en 2009 par la levée de l’excommunication des évêques lefebvristes qui laisse craindre des réactions similaires en cas de réconciliation finale.
Un mouvement protestataire catholique "Nous sommes l'Eglise" a ainsi demandé la semaine dernière aux évêques de résister à la volonté du Vatican d’accueillir les intégristes, faute de quoi un schisme progressiste sera, selon lui, plus probable.
"Cette réconciliation créera de nouveau l’indignation, et une vague d’hémorragie de catholiques prônant l’ouverture et qui ne se reconnaissent plus dans cette Eglise", estime Christian Terras.
Et de conclure : "Benoît XVI ne représente plus qu’une minorité de catholiques identitaires, proches de la tradition. Ces idées ne représentent pas la ce que la majorité des catholiques vivent au quotidien".