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Affrété par le Programme alimentaire mondial (PAM), le Victoria quitte Mombasa pour Mogadiscio. Malgré la présence du Floréal dans le sillage du navire, l'équipage garde en mémoire les neuf jours qu'il a passés entre les mains des pirates.
Anwar Ahmed, capitaine pakistanais du Victoria, maintient le cap, confiant. A la barre d’un navire battant pavillon jordanien, il a quitté Mombasa au Kenya la veille et se dirige tout droit sur Mogadiscio, où il doit livrer dans trois jours 4 000 tonnes de vivres envoyées par le Programme alimentaire mondial (PAM), qui relève de l’ONU.
A peine plus épais qu’un des bouts de son navire, l’homme, cheveux gras, barbe inégale et polo élimé, dit ne pas craindre les pirates. Il doit savoir de quoi il parle. Il y a quelques mois, il a croisé leur route et s'est retrouvé captif.
Accoudé au poste de pilotage vieillot et graisseux, une canette de soda à la main, il explique : "La zone que nous traversons actuellement - le long de la côte Kenyane - n’est pas trop dangereuse. Les choses se corsent en général à l’approche de Mogadiscio."
"A ce moment, je prends des précautions", assure-t-il dans un anglais correct, mais difficilement audible : il ne lui reste que quelques chicots dans la bouche.
La protection en question n'est autre qu'un simple tuyau d’arrosage. "Recevoir des trombes d’eau en pleine figure a un effet psychologique fort, ça fait peur", assure-t-il. Il n’a pas d’autres choix que d’être optimisme, légalement il ne peut pas être davantage armé.
Pour cette traversée, son navire est escorté par le Floréal, une frégate militaire francaise sous commandement européen, dans le cadre de la mission anti-piraterie Atalante. Les deux bâtiments se sont rejoints à Mombasa au Kenya. Si les deux commandants ne se sont jamais rencontrés, ils sont en contact permanent par radio, par mail et par téléphone. "Une précense rassurante" reconnaît Anwar Ahmed.
"On en peut rien faire avec une arme pointée sur soi"
En mai dernier, le jet d'eau a en effet montré les limites de sa capacité de dissuasion. Parti d'Inde, Anwar Ahmed devait livrer du sucre à un commerçant soudanais installé à Mogadiscio. Son équipage et lui ont été kidnappés. Ils ont passé plus de neuf jours entre les mains des pirates. Des souvenirs plutôt effrayants et encore bien vifs. "On ne peut rien faire avec une arme pointée sur soi", explique son second, Utman, un Indien de 24 ans.
Alors qu’ils étaient encore à six miles de Mogadiscio, quinze pirates, embarqués sur des skiffs et armés d’AK47, ont pris le navire d’assaut. Tout est allé très vite. En moins de dix minutes, les flibustiers ont escaladé la coque du navire à l'aide d'une échelle.
"L’un d'eux, le seul qui parlait anglais, m’a demandé de rassembler tout l’équipage sur le pont. C’était pour nous dépouiller de nos montres et de nos téléphones", raconte Anwar.
Utman précise : "Ils ont dit qu’ils nous tueraient tous si nous mentions ou s’ils trouvaient des objets de valeurs en fouillant nos cabines."
Les pirates ont ensuite passé le navire au peigne fin, récupérant tout, jusqu’aux vêtements de leurs captifs, exception faite de ceux qu'ils portaient.
Une fois le butin en poche, le navire a été détourné jusqu’au nord de la Somalie. Il ne restait plus à l’équipage - enfermé dans la salle à vivre, une pièce rudimentaire et mal éclairée - qu’à compter les heures. Puis les jours.
"J’ai continué d’espérer pendant toute notre captivité", affirme Utman. Après neuf jours, ils ont finalement été relâchés, sans vraiment savoir pourquoi. Ils soupconnent le propriétaire de leur cargaison, un Somalien, d'avoir négocié directement avec les pirates.
Malgré cette expérience, Utman poursuit sa route avec le Victoria. Sa motivation ? Le salaire. Quelques centaines d’euros pour la traversée.