Après le massacre de Houla, le régime syrien est plus que jamais dans la ligne de mire des Occidentaux. Récemment, les États-Unis ont proposé un plan secret à la Russie, alliée de Damas, pour sortir de la crise. Décryptage.
Depuis 14 mois, ni la rue ni les rebelles syriens n’ont eu raison du régime du président Bachar al-Assad. Pas plus que les pressions diplomatiques et les sanctions économiques exercées par une partie de la communauté internationale.
Mais la donne semble avoir changé depuis le massacre de Houla. Cent huit personnes, dont quarante-neuf enfants, ont été tuées vendredi dans cette ville du centre de la Syrie. Il s’agit de l’évènement le plus meurtrier dans le pays depuis l'entrée en vigueur du plan de paix de Kofi Annan, le 12 avril dernier. Mardi, plusieurs capitales occidentales, dont Paris et Washington, ont annoncé l'expulsion des représentants diplomatiques syriens en poste dans leur pays en représailles à la tuerie.
"Scénario à la yéménite"
"L’ampleur du crime perpétré à Houla, qui prouve que le plan Annan est un échec, a secoué les Occidentaux et remis la question syrienne, négligée depuis quelques mois, au centre des attentions en relançant des plans alternatifs de sortie de crise", relève Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe et professeur de relations internationales à l’université Paris-Sud. La piste d’une entente internationale sur une sortie de crise calquée sur le "scénario yéménite" a, notamment, fait surface du côté des États-Unis.
Selon le prestigieux quotidien américain The New York Times, Washington aurait en effet proposé à Moscou un projet de sortie de crise impliquant le départ de Bachar al-Assad au terme d’une période de transition calqué sur celui qui a permis l’éviction de l’inamovible président Ali Abdallah Saleh à Sanaa. Ce dernier, au pouvoir pendant 33 ans, a cédé son poste en février dernier en échange d’une immunité et de l’élection de son vice-président à la tête du Yémen. D’après l’article publié dimanche et basé sur des témoignages de responsables américains recueillis sous le sceau de l’anonymat, ce plan secret a fait l’objet de discussions entre le président Barrack Obama et le Premier ministre russe Dmitri Medvedev à l’occasion du dernier sommet du G8. Ce dernier se serait montré "réceptif" à un scénario qui permettrait à des responsables syriens de haut rang de rester en place et de sauvegarder les intérêts russes dans le pays, précise au New York Times l'une de ses sources.
Toutefois, l’heure n’est pas encore à l’optimisme dans le dossier syrien, même si Moscou a semblé lâcher du lest en votant en faveur d'une résolution non coercitive du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant à l'unanimité le massacre de Houla. "Les Russes avaient déjà proposé de leur propre chef un tel scénario, mais ils s’étaient heurtés à un refus catégorique de leur allié syrien, au sein duquel les clans qui entourent la famille Assad ne sont prêts à aucune concession", souligne Khattar Abou Diab. De plus, selon le politologue, la solution yéménite n’est pas adaptée à la situation en Syrie. "D’une part, le contexte géostratégique n’est pas le même qu’au Yémen, où le pouvoir était l’obligé de l’Arabie saoudite qui a obtenu le départ de Saleh, note-t-il. En outre, le nombre de morts n’était pas aussi important qu'en Syrie, ce qui a facilité l’obtention d’une immunité pour le président yéménite."
La Russie souffle le chaud et le froid
Lundi, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a pourtant entretenu les espoirs américains. "Le plus important n'est pas de se préoccuper de qui est au pouvoir en Syrie" mais "de mettre fin à la violence", a-t-il expliqué, laissant entendre que le président Assad n’était pas irremplaçable. "Nous ne soutenons pas le gouvernement syrien, nous soutenons le plan de Kofi Annan", a-t-il encore ajouté. Selon des analystes, les Russes craignent que leur position au Conseil de sécurité ne les mène à l’isolement diplomatique au fur et à mesure que les violences prennent de l’ampleur en Syrie.
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Images amateurs qui témoignent de la violence de la répression du massacre de Houla
"Les Russes sont embarrassés parce qu’ils avaient bien précisé à Assad que des massacres de civils de cette ampleur était une ligne rouge à ne pas franchir, car ils savaient les conséquences internationales que cela aurait", indique sur l’antenne de FRANCE 24 Fabrice Balanche, maître de conférence à l'université Lyon-II et spécialiste de la Syrie. Cependant, celui-ci précise que cela ne signifie pas que Moscou soit prêt à lâcher son ultime allié au Moyen-Orient. "L’heure de la prise de distance avec Damas n’a pas encore sonné", indique-t-il. Pour preuve, ce mercredi, la Russie a jugé "prématurée" toute nouvelle action de l'ONU contre la Syrie et a condamné le renvoi "contreproductif" des ambassadeurs syriens en poste en Europe occidentale et en Amérique du Nord.
Le président Barack Obama aura l’opportunité de tenter de convaincre son homologue Vladimir Poutine, réputé plus rigide sur la question syrienne que son Premier ministre. Il retrouvera, en effet, le nouveau président russe à la fin de juin, à l’occasion du sommet du G20, au Mexique. Vendredi, c’est le président français, François Hollande, qui recevra le président russe avec l'ambition d'infléchir lui aussi le soutien inflexible de Moscou à Damas. " Nous devons le convaincre que ce n'est pas possible de laisser le régime de Bachar al-Assad massacrer son propre peuple", a-t-il résumé mardi lors de son intervention télévisée sur France 2. Au cours du même entretien, le nouveau locataire de l’Élysée a déclaré ne pas exclure une intervention armée, "à condition qu'elle se fasse dans le respect du droit international".
"Mais à terme, si les Russes restent campés sur leurs positions, ils risquent de voir les puissances occidentales et les pays arabes commencer à réfléchir à un scénario d’intervention militaire limitée, dans le cadre de la réunion des Amis de la Syrie prévue en juillet à Paris, soit hors du cadre onusien", conclut Khattar Abou Diab.