Le tribunal de grande instance de Paris ouvre une enquête sur Amesys, soupçonnée d’avoir livré du matériel de cyberespionnage à la Libye de Kadhafi. La filiale du géant français de l’informatique Bull conteste ces accusations.
Le pôle des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des génocides du tribunal de grande instance (TGI) de Paris se penche sur le cas Amesys. Une information judiciaire a été ouverte lundi 21 mai à l’encontre de cette société française, filiale du géant français des réseaux informatiques Bull, pour “complicité d’acte de torture” en Libye sous le régime de feu Mouammar Kadhafi.
L’ouverture de cette enquête contre Amesys, une entreprise spécialisée dans les systèmes de sécurité informatique, fait suite à une plainte déposée en octobre 2011 par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH). Ces deux ONG accusent la société française d’avoir fourni “au régime de Khadafi, à partir de 2007, un système de surveillance des communications destiné à surveiller la population libyenne”.
Dans un communiqué de presse publié mardi 22 mai, Amesys a contesté “très fermement” les accusations, affirmant tenir à la disposition de la justice “tous les éléments qui seraient jugés nécessaires pour la parfaite compréhension des faits”.
Une autre situation diplomatique
Les rapports troubles entre Amesys et le régime dictatorial libyen de
Fondée en 1979, la société Amesys est spécialisée dans l'ingéniérie informatique et a été qualifié par le journaliste français Jean-Pierre Manach de "marchand d'armes de guerre électronique".
En janvier 2010, cette société qui compte 900 collaborateurs est rachétée par le géant français de l'informatique Bull pour 105 millions d'euros.
Amesys réalise en 2010 un chiffre d'affaires de 40,219 millions d’euros d'après les informations du site français reflets.info, l'un des plus en pointe avec Owni sur le scandale autour du contrat signé avec le régime de Mouammar Kadhafi en 2007.
Depuis mars 2012, Bull offre à la vente "Eagle" le système de cybersuveillance qui est au cœur de l'enquête ouverte lundi 21 mai par le Tribunal de grande instance de Paris.
l’époque de Mouammar Kadhafi ont d’abord été évoqués en juin 2011 par le site d'information français Owni. Mais c'est la découverte fin août, dans les décombres d’un immeuble officiel libyen, de documents accablants pour Amesys par des reporters du quotidien américain le "Wall Street Journal" qui a déclenché le scandale. Ces documents, dont des contrats appartenant à l'entreprise, établissent qu'à partir de 2007, la société a équipé le régime d'un système de surveillance d’Internet nommé “Eagle”. Dans son article, le "Wall Street Journal" concluait, de fait, que cette filiale de Bull avait “aidé la dictature à espionner en masse les communications sur Internet de sa population”.
Suite à ces accusations, Amesys a reconnu, en septembre 2011 avoir “conclu un accord commercial” avec la Libye sur “la mise à disposition d’un matériel d’analyse portant sur une fraction des connexions internet existantes, soient quelques milliers”. Elle précisait également que ce contrat avait été signé à une époque de réchauffement diplomatique entre la France et la Libye, Mouammar Kadhafi étant alors considéré comme fréquentable. Dans un documentaire diffusé sur France 2 en décembre 2011, le responsable commercial d’Amesys ajoutait, en outre, que la Libye avait détourné son logiciel de sa finalité.
La position de l'État français
Pour le journaliste français Jean-Marc Manach, auteur d’un livre sur l'affaire intitulé “Au pays de Candy”, ces arguments ne tiennent pas la route. Les documents qu’il a consultés durant son enquête prouverait “qu’Amesys a développé à la demande de la Libye une arme de surveillance massive d’Internet”, affirme-t-il à FRANCE 24. “Tous les Libyens que j’ai rencontrés qui avaient été espionnés grâce au matériel d’Amesys étaient liés à l’opposition au régime de Mouammar Kadhafi”, ajoute-t-il.
Pour lui, Amesys pouvait difficilement ignorer qu’un régime autoritaire était susceptible d'utiliser ses solutions comme une arme de cybersurveillance contre des civils. Mais d’après Jean-Marc Manach, cette affaire ne s’arrête pas aux portes d’Amesys. “Cette enquête doit permettre de discuter des responsabilités même aux plus hauts étages de l’État”, affirme-t-il.
Le gouvernement aurait-il dû donner son accord express pour la signature du contrat entre la société française et le régime libyen ? Sans aucun doute, si l’on considère que ces solutions de cybersurveillance peuvent être assimilées à des armes. Mais “à l’heure actuelle, il y a un flou juridique et aucun texte qui encadre ces solutions informatiques”, note le journaliste. Il espère que l’enquête du TGI permettra d’avancer sur cette question.