L’arrivée à New York du militant des droits civiques Chen Guangcheng signe la fin de la crise diplomatique sino-américaine. Un "happy end" pour cet avocat aveugle ainsi que pour Pékin, débarrassé d’une affaire pesante et d’une voix dissidente.
Il a enfin quitté le territoire chinois. Le dissident aveugle Chen Guangcheng est arrivé samedi soir à New York. Ce champion de la lutte contre les avortements forcés avait réussi à fuir de sa résidence surveillée, au nez et à la barbe des autorités chinoises, le 22 avril avant de provoquer un imbroglio diplomatique en se réfugiant à l'ambassade des États-Unis à Pékin.
L’épilogue ressemble à un "happy end". Nombre d’analystes ont en effet longtemps laissé entendre qu’il était impossible qu’un militant des droits de l’Homme puisse quitter le territoire chinois avec la bénédiction de Pékin. Et pourtant, après plusieurs jours d’âpres négociations sino-américaines, Chen a finalement obtenu samedi un passeport, un visa étudiant pour sa famille - un visa de "réfugié politique" aurait pu froisser la Chine - et une bourse d’études.
Éloigner Chen pour le faire taire
Pour Alice Ekman, chercheur spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri), Pékin avait tout intérêt à exiler son dissident. Pour mettre un terme à la crise diplomatique, bien sûr, et éviter que le cas de cet "avocat aux pieds nus" n'émeuve - un peu trop - la population. "Le cas Chen est un dossier qui commençait à faire du bruit. L’éloigner du territoire, c’est une manière de le faire retomber dans l’oubli", précise-t-elle.
Une analyse que partage en tous points Fabienne Clerot, spécialiste du pays à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). L’experte précise qu’exiler Chen était non seulement la seule solution diplomatique possible - la résidence surveillée n’étant plus une option viable -, mais surtout la seule manière de le faire taire durablement. "Il sera moins gênant aux Etats-Unis, un pays où il s’emploiera à convaincre des gens déjà acquis à sa cause", explique-t-elle. "Il perdra peu à peu de son influence. Pékin mettra tout en oeuvre pour le faire disparaître, informatiquement du moins. Son nom sera effacé d’Internet. Les autorités espèrent ainsi l’éradiquer de la mémoire collective." Une sentence terrible pour cet homme qui redoutait, justement, de tomber dans l'oubli en cas d'exil politique.
Chen Guangcheng, un moindre souci pour les autorités
Cette stratégie devrait permettre à Pékin de se concentrer sur d’autres problèmes, bien plus importants. En effet, l’affaire Chen Guangcheng est tombée au pire moment du calendrier pékinois. A l’approche du XVIIIe congrès du Patri communiste qui doit désigner, cet automne, le successeur de l’actuel président et chef du Parti, Hu Jintao, les luttes d’influence entre conservateurs et réformistes ne cessent de s’exacerber. Le contexte politique est donc actuellement fébrile, pour ne pas dire délétère. Or, s’il est bien une chose que la Chine redoute plus que tout dans un pays où le communisme ne tolère aucun dérèglement hiérarchique, c’est le désordre politique.
Surtout, l’apparatchik chinois est aux prises avec un autre cas politico-judiciaire, bien plus médiatisé que l’affaire Chen à l’intérieur du pays : le délicat dossier Bo Xilai, du nom de cet éminent homme politique récemment évincé du Comité central du PCC pour infraction à la discipline. L’homme, charismatique et populaire, bénéficiait d’une grande notoriété dans le pays. "La Chine est entièrement tournée vers cette affaire, un scandale à la fois politique et people à multiples rebondissements", expliquait Alice Ekman, le 28 avril. Comble de malchance pour Pékin : à l’instar du cas Chen, le dossier Bo Xilai résonne lui aussi à l’étranger. Plus précisément au Royaume-Uni, où le nom de ce politique est depuis peu associé au meurtre d’un ressortissant britannique. "Face à ces deux grosses affaires, Pékin n’a pas voulu s’encombrer du cas Chen. C’était le dossier le moins médiatique, il était donc, de fait, le dossier à éliminer en priorité, une épine de moins dans le pied de Pékin", conclut Fabienne Clerot.
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