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Témoignages d'électeurs grecs : "Ça ne peut plus durer"

, correspondante à Athènes – Malmenés par la crise économique et par les plans d'austérité mis en place pour y remédier, les Grecs se rendent ce dimanche aux urnes pour des élections législatives où les principaux partis risquent gros. Témoignages d'électeurs.

Pour la première fois depuis le début de la crise, les Grecs vont pouvoir exprimer leur frayeur et leur désespoir de la manière la plus démocratique : l’élection. Ce dimanche 6 mai, onze millions d’électeurs sont appellés aux urnes pour des législatives anticipées qui verront  un nouveau gouvernement être porté au pouvoir. Alors que l’austérité continue de peser, la désillusion des Grecs bat son plein et nombre d’électeurs pourraient opter pour un vote sanction contre les partis traditionnels, la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et le Pasok (gauche) qui se sont relayés au pouvoir ces trente dernières années. Les sondages révèlent que dix petits partis -de la Gauche démocratique au parti d’extrême droite Aube dorée ("Chryssi Avgi") - pourraient bénéficier de la colère des Grecs contre l’austérité pour entrer au Parlement.

FRANCE 24 a rencontré des électeurs et un analyste politique pour comprendre la colère et le vote des Grecs. Témoignages.

George Gavriilidis, créateur de mode au chômage

Depuis 25 ans, George Gavriilidis créait des vêtements pour de célèbres marques grecques. Son salaire confortable lui a permis d’acheter un appartement mais aujourd’hui, comme des centaines de milliers de Grecs, ils est sans emploi et compte sur l’aide de ses parents. Nombre de ses employeurs ont été contraints de fermer leur entreprise à cause de la crise financière dûe à la dette abyssale du pays accumulée ces dernières années. Indécis sur le choix du parti à soutenir aujourd’hui, il est déterminé à utiliser son vote pour punir ceux qu’il tient pour responsables des difficultés financières de la Grèce.

"Mon vote est important parce que c’est l’occasion pour moi de punir les grands partis politiques. Je suis très en colère contre les politiciens et en particulier contre le Pasok et la Nouvelle Démocratie. Je considère qu’ils sont responsables de cette situation. Surtout le Pasok. Je suis vraiment désolé parce que les gens souffrent en Grèce aujourd’hui. J’ai changé mon train de vie parce que je ne peux plus dépenser d’argent. Parfois, je marche simplement dans Athènes et je pense à toute cette situation, d’autres fois je reste chez moi et je pleure."

Paraskevi Politaki, cumule des petits boulots

Paraskevi Politaki vient d’avoir 18 ans et votera pour la première fois ce dimanche. Même si elle dit ne plus croire aucun politicien, elle a décidé de voter pour un parti de droite se dressant contre la rigueur. Elle doit tirer un trait sur l’université qui a accepté son dossier parce qu’elle se trouve trop loin de chez elle. A la place, elle cumule les petits boulots : dans une station-service, dans une taverne ou en vendant du maïs trois soirs par semaine sur le trottoir de la fameuse rue Ermou, en plein cœur d’Athènes.

“Je vais voter pour Panos Kameno [Parti des Grecs indépendants]. Mais la situation est confuse parce que nombre de partis politiques font des promesses alors que tout ce qu’ils veulent c’est un siège au Parlement, rien d’autre. En fait, personne n’est vraiment bon. Mais je voterai. J’espère simplement un bon résultat de ce scrutin car cette situation ne peut plus durer. Il faut que cela s’améliore. Il y a de profonds problèmes actuellement en Grèce, pas de travail, rien ne va. Nous travaillons huit heures pour 20 ou 10 euros. Ça ne peut plus durer."

Eleftherios Halkidis, constructeur à la retraite

Eleftherios Halkidis est un constructeur à la retraite. Il a cessé son activité il y a trois ans et aujourd’hui il peine à joindre les deux bouts. "Je ne peux même pas m’acheter un café", dit-il. Il a pu payer ses impôts grâce à l’aide de son frère qui travaille aux Etats-Unis. Eleftherios Halkidis ne voulait pas rater le rassemblement politique de la Nouvelle Démocratie dans le centre d’Athènes. Il affirme avoir toujours voter au centre-droit. Même si la popularité du parti faiblit dans les sondages, Eleftherios Halkidis reste fidèle car seul ce parti pourra "essayer d’aider la Grèce" souligne t-il.

"Je vais voter pour la Nouvelle Démocraie, comme toujours. Ce parti ne peut pas donner une solution complète mais pourra résoudre une partie du problème ou au moins il pourra faire quelque chose. Ce sont des élections importantes pour de nombreuses raisons mais surtout pour une raison économique. Nous n’aurions pas été dans cette situation si les gens avaient voté pour la Nouvelle Démocratie aux dernières élections."


Philipos Galanis, appellé au service militaire

Comme la grande majorité des Grecs de 20 ans, Philipos Galanis effectue son service militaire. Bientôt son service de neuf mois touche à sa fin et il se demande ce qu’il fera après. Bien qu’il soit expert-comptable, il travaillait à la cafétéria que tient sa famille depuis des générations dans son quartier à Pagrati avant que les siens soient contraints de vendre. Contrairement à de nombreux Grecs, Philipos Galanis n’est pas en colère contre le Pasok, le parti socialiste au pouvoir depuis deux ans. Au contraire, il le soutient.

"Les Grecs sont très confus en ce moment à cause du plan de sauvetage et de la faillite du pays. Je vais voter pour le Pasok parce que c’est le seul parti qui a des propositions et une solution pour sortir de la crise. Le Pasok n’est pas responsable de la crise, c’est de la faute de la Nouvelle Démocratie, le parti conservateur. Et je pense, je suis certain en fait, que les conservateurs essaient de voler des voix en vendant des mensonges aux gens. La plupart de mes amis sont au chômage et sont soutenus par leur famille, ils essaient de trouver un travail mais c’est vraiment difficile. Je survis, je suis donc chanceux. Je suis optimiste et je pense à un avenir meilleur. J’ai d’ailleurs toujours pensé que la crise est une opportunité pour résoudre quelques problèmes."

Pelagia Kontzoglou, gérante de cafétéria

La vie est douce pour Pelagia Kontzoglou : malgré les difficultés financières et de nombreuses manifestations, la clientèle de son café central d’Athènes est restée inchangée. En réponse à la hausse des impôts, elle hausse les épaules et se console en pensant que les choses pourraient être pires. Pourtant, elle est furieuse contre les politiciens qui dominent la classe politique depuis de nombreuses années. Elle leur reproche d’abuser de leur pouvoir pour servir le clientélisme. Elle utilisera donc son vote dans l’espoir de rétablir la justice dans son pays.

"Je veux que plus de justice ressorte des urnes parce que jusqu’à présent, l’ensemble du système étatique a profité à un groupe très restreint de personnes qui étaient déjà privilégiées au lieu de servir le plus grand nombre, ceux qui paient leurs impôts et souffrent de ces vicissitudes. Donc je ne vais certainement pas voter pour les deux partis majoritaires, ni pour aucun de ceux qui sont déjà au Parlement. Le parti des Pirates, pourquoi pas ? C'est un parti qui a quelque chose de différent à dire."
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George Tzogopoulos, analyste politique

George Tzogopoulos est chercheur au think tank Eliamep et a son propre site internet. Il est l’auteur de “La Tragédie grecque des médias : stéréotypes dans la presse internationale". Il analyse souvent la crise grecque pour la presse et les télévisions étrangères.

"L’avenir européen de la Grèce est en jeu dans ce scrutin. Si le gouvernement formé après les urnes n’est pas préparé à l’application de nouvelles mesures d’austérité, il y a un risque pour la Grèce de retourner à sa monnaie nationale. La caractéristique la plus frappante de ces élections, c’est la colère des citoyens contre les politiques qui ont conduit la Grèce au défaut de paiement et à la faillite. Ce qui motive leur choix n’est donc pas l’adhérence à une idéologie mais un vote sanction contre ceux qu’ils considèrent comme responsables de la crise. Le lendemain des élections est beaucoup plus important à mon avis que son résultat qui est plus ou moins prévisible. La troïka [FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne ndlr] sera de retour en Grèce dans quelques semaines et je suis sûr qu’ils découvriront à nouveau un trou supplémentaire dans le déficit budgétaire. Personne ne sait comment le prochain gouvernement pourra combler cette lacune, alors il faut s’attendre à des troubles sociaux dans le pays."