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Les banlieues oubliées par la campagne présidentielle

Peu présent dans les discours des candidats à la présidentielle, le thème des quartiers populaires est loin de polariser la campagne comme ce fut le cas en 2007. "La crise est passée par là", analyse le politologue Henri Rey.

Les candidats à la présidentielle française n’affichent que peu d’intérêt pour les banlieues, qui cumulent pourtant des problèmes d’emploi, de pauvreté, d’éducation et de sécurité. Jusqu’à présent, la plupart d’entre eux se sont fendus d’un saut de puce dans des villes sensibles, mais sont loin de faire des difficultés en zones urbaines sensibles une question prioritaire, comme ce fut le cas lors de la campagne de 2007.

Pour preuve, leurs déplacements en zones sensibles ont été pour le moins expéditifs. Nicolas Sarkozy a effectué une visite-éclair à Drancy mardi 10 avril, emboîtant le pas à la tournée en banlieue de François Hollande. Le candidat socialiste avait effectué, les 5 et 6 avril, un marathon de 48 heures dans les banlieues lyonnaise (Vaulx-en-velin) et parisienne (Aulnay-sous-Bois, Trappes, Aubervilliers et Clichy-sous-Bois). Pour sa part, le candidat centriste François Bayrou a passé quatre heures à Mantes-la-Jolie (près de Paris), début mars, pour "dialoguer avec cette banlieue dont on ne parle pas". Marine Le Pen, la candidate du Front national, s’est félicitée de ne pas s’y être rendue, arguant que "la majorité de la population vit dans la ruralité". "Les quartiers dans les banlieues, ils ont tout : les caméras de télévision, l'argent de la politique de la ville qui se déverse, ce sont des milliards", a déclaré la candidate frontiste mardi 10 avril à la chaîne de télévision Public Sénat.

Quelle est loin l’époque où les candidats multipliaient les propositions pour améliorer la situation dans ces quartiers. C’était pourtant en 2007, lors de la précédente campagne présidentielle. Le thème des banlieues était devenu incontournable, suite aux émeutes de 2005 survenues après la mort par électrocution de deux adolescents dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois, alors qu'ils essayaient d'échapper à un contrôle de police. Le candidat Nicolas Sarkozy avait alors proposé "un plan Marshall pour les banlieues" tandis que sa rivale socialiste Ségolène Royal s'était rêvée en présidente de ces zones urbaines en vantant "la réussite des quartiers populaires" qui "ne doivent plus être considérés comme un problème, mais comme une partie de la solution aux problèmes".

Dernière préoccupation des Français

De toute évidence, le thème des banlieues est tombé dans l’oubli pour les électeurs. Dès le mois de février, un sondage de l’Ifop plaçait la lutte contre le chômage (76%), le pouvoir d’achat (58%) et la santé (57%) comme les enjeux prioritaires des Français pour les mois à venir. Et parmi les douze thèmes proposés par l’étude, l’amélioration de la situation dans les banlieues n’arrivait qu’en dernière position (29%). "La crise est passée par là", explique Henri Rey, directeur de recherche au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po, pour justifier le revirement par rapport à 2007. "Il y a cinq ans, la campagne était focalisée sur l’immigration et la sécurité. Aujourd’hui, vue la situation économique, il apparaît logique que les Français soient plus préoccupés par l’emploi, et surtout l’emploi des jeunes. Les candidats aussi, ont donc logiquement réévalué leur priorité."

Pour Henri Rey, qui travaille sur les banlieues depuis trente ans, le sujet est en fait abordé de manière transversale, via d’autres questions comme l’emploi et l’éducation. Résultat, les candidats se déplacent dans les zones urbaines sensibles avec des propositions alternatives pour séduire leurs habitants, qui représentent plus de 7 % de la population française.

François Hollande dit vouloir créer 150 000 emplois d’avenir en donnant la priorité aux gens des quartiers populaires, et propose aussi des exonérations de charges pour les entreprises embauchant dans les cités. De son côté, Nicolas Sarkozy qui se dit "très impliqué dans la vie des quartiers depuis longtemps", a proposé d’"achever la rénovation urbaine en lançant un second plan de rénovation de 18 milliards d’euros", pour faire suite au premier plan mis en place depuis 2003 sous l’égide de Jean-Louis Borloo (plus de 40 milliards d’euros investis jusqu’en 2013 en faveur de 460 quartiers).

Ancré à gauche

Pour Henri Rey, le vote des banlieues, traditionnellement ancré à gauche, n’est pas vraiment un enjeu électoral. "Il est certain que François Hollande crée nettement moins d’entrain que Ségolène Royal en 2007 [qui y avait remporté 75% des suffrages] mais les gens perpétuent la tradition de voter pour le candidat socialiste". Et de poursuivre: "Même les candidats à la gauche de la gauche n’ont que peu de chance de tirer leur épingle du jeu."

Quant à Nicolas Sarkozy, son bilan reste mitigé aux yeux des habitants des quartiers défavorisés, entre "le plan Marshall" qui a été enterré en même temps que le départ du gouvernement en novembre 2010 de l'ex-secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, Fadela Amara, et son plan de rénovation urbaine. Pour Abdel Elotmami, membre du collectif AcleFeu, (Association collectif liberté, égalité, fraternité, ensemble unis), - créée à la suite des émeutes de 2005 pour améliorer la vie dans les quartiers-, la rénovation urbaine n’est "qu’une couche de peinture pour cacher la misère". "Ça ne sert à rien de valoriser l’urbain sans valoriser l’humain", dénonce-t-il. Et d’ajouter que Nicolas Sarkozy ne suscite guère d’enthousiasme car personne n’a tourné la page du "kärcher" et de la "racaille", termes que le candidat avait employés au moment des émeutes de 2005.

Mais Abdel Elotmami avoue qu’aucun des candidats ne l’inspire vraiment. Le membre du collectif qui prévoit de soumettre 23 propositions au futur président, préfère miser sur les municipales qui auront lieu en 2014. "Il faudra s’attendre à de nombreuses listes dans nos quartiers", avance-t-il "car les gens ici ont maintenant compris qu’ils pouvaient être à la fois auteur et acteur de la vie politique".