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Les étranges licenciements de la Société générale

Trois ex-cadres de la Société générale investment bank poursuivent leur ex-employeur pour licenciement abusif. Ils ont été remerciés en 2011 pour insuffisance professionnelle. Près de 200 salariés auraient, l'an passé, subi le même sort.

La Société générale a commencé, le 2 avril, à exécuter un plan de départs volontaires (PDV) qui vise à supprimer 880 postes au sein de sa filiale de banque d’investissement (SGCIB). Hervé, Stéphane et Nicolas* ne peuvent pas en bénéficier : ils ont été licenciés en 2011 officiellement pour insuffisance professionnelle. Un motif qu’ils ont décidé de contester en justice. Ces trois anciens cadres de la banque française ont porté plainte, fin novembre 2011 pour deux d’entre eux et fin février 2012 pour le troisième, devant le conseil des prud’hommes de Paris contre leur ancien employeur pour licenciement abusif.

“Il s’agit de licenciements pour motif économique déguisé et mes clients devraient pouvoir bénéficier des conditions du plan de départs volontaires”, affirme à FRANCE 24 maître Alexandra Desmeure, avocate chez Behillil & Associés qui suit le dossier pour le compte des trois plaignants de la SGCIB. Ils estiment tous trois que les indemnités proposées lors de leur licenciement sont largement inférieures à ce à quoi ils auraient eu droit en vertu du PDV.

L’histoire de ces trois vétérans de la Société générale se ressemble : durant des années, ils ont bénéficié d’évaluations positives accompagnées de bonus qui leur sont régulièrement versés tous les ans. En 2011, la donne change soudain du tout au tout. Sans crier gare, au retour des vacances d’été, leur supérieur leur explique qu’ils ne sont plus à la hauteur.

Vague sans précédent ?

Qu’est-ce qui a changé dans la qualité de travail des trois anciens cadres de la SGCIB ? Difficile à dire. Les lettres de licenciement qu’ils ont reçues et que FRANCE 24 a pu consulter recensent des reproches dont certains remontent à plus d’un an. “On a ressorti une perte intervenue il y a un an, alors que je venais juste d’intégrer le service et qui ne peut donc pas m’être imputée”, assure ainsi Stéphane. Hervé, de son côté, s’étonne que sa hiérarchie invoque à son encontre un incident intervenu... après qu’on l’ait informé d’une procédure de licenciement à son égard. Contactée par FRANCE 24, la Société générale investment banking refuse de “commenter des affaires juridiques en cours”.

Mais pour les trois plaignants, la meilleure preuve que les motifs personnels invoqués contre eux ne tiennent pas la route réside dans la vague - sans précédent selon eux - de licenciements pour insuffisance professionnelle qui s’est abattue sur la SGIB. “Entre juillet et novembre 2011, plus de 200 personnes ont été remerciées pour cette raison”, constate Nicolas. En somme, la Société générale aurait masqué, en 2011, une importante restructuration de sa filiale d’investissement sous couvert d’une série de licenciements pour motif personnel ce qui lui permettait d’échapper au coût et au cadre contraignant d’un plan social.

Le nombre exact de salariés de la SGCIB sacrifiés ainsi sur l’autel de “l’insuffisance professionnelle” est difficile à déterminer. “En recoupant nos informations entre syndicats, il y a environ 200 personnes qui nous ont consulté avec la même histoire et il doit y en avoir d’autres qui ne sont pas venues nous voir”, explique Isabelle Blanquet-Leroy, déléguée syndicale nationale adjointe de Force ouvrière (FO). La Société générale n’a pas voulu confirmer ces chiffres mais assure que le nombre de départs est sensiblement le même en 2010 et en 2011 au sein de la banque. Elle n’a pas non plus souhaité donner le nombre de salariés employés par la SGCIB début 2011 et fin 2011. Selon les informations qui circulent dans la presse économique, les effectifs de la filiale d'investissement de la Société générale était compris, fin 2010, entre 5 000 et 6 000 personnes en France.

Drôle de Roméo

Pour les syndicats, les salariés de la filiale d’investissement de la banque française ont en fait subi, en 2011, un dégraissage en règle “élaboré par la direction fin 2010”. Hervé, Stéphane et Nicolas et d’autres auraient, d’après FO, été les victimes du plan Roméo, une vaste réorganisation des effectifs dont la mise en pratique a toujours été niée par la direction. “Il s’agit en fait d’une restructuration qui vise à externaliser des tâches en Inde, à Bengalore”, lâche Isabelle Blanquet-Leroy.

Questionnée à ce sujet, la Société générale répète “n’avoir pas connaissance d’un plan Roméo”. Difficile cependant pour la banque de nier que la question d’éventuelles délocalisations d’emplois de la SGCIB en Inde a été un sujet d’actualité brûlante lors des négociations autour du plan de départs volontaires. La Société générale s’est, en effet, engagée dans le plan d’accompagnement et de réorganisation des effectifs de la SGCIB de décembre 2011 - que FRANCE 24 a pu se procurer - “à ne pas opérer pour la durée du plan, c'est-à-dire un an, de transfert d’activité employant des salariés SG du pole SGCIB parisien vers son site de Bengalore”. “C’était facile pour eux de prendre cet engagement puisqu’ils avaient déjà effectué ces transferts d’activité”, regrette Isabelle Blanquet-Leroy. D’autres documents dont FRANCE 24 a eu connaissance montrent que la banque a, dès le premier trimestre 2011, établi un chiffrage des postes parisiens qui pourraient être assurés par des employés en Inde.

Pour les trois salariés qui ont porté plainte contre la Société générale, savoir si leur tâche est dorénavant exercée à Bengalore ou non n'est que secondaire. Leur bataille juridique commence devant le juge début mai pour deux des trois plaignants (le troisième doit encore attendre juillet). La procédure devrait durer, ensuite, près d'une année.

*Les prénoms ont été changé à la demande des personnes concernées.