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Le commandant du "Floréal" répond à vos questions

Depuis la fin de l'année 2008, la frégate française "Le Floréal" croise dans le golfe d'Aden afin de protéger d'autres navires d'éventuelles attaques de pirates. Son capitaine, le commandant Menut, répond à vos questions.

Question de Yoga, à Douala au Cameroun - Ces pirates ne prêtent-ils pas main forte à certaines autorités ? Sinon, pourquoi ne pas aller les chercher directement dans leur pays ?

Réponse du commandant Menut - Les entités gouvernementales somaliennes sont d’une telle faiblesse qu’inévitablement, elles sont soumises à de fortes pressions de groupes d’influence très certainement liés à des clans qui versent dans la piraterie. Mais ces liens sont très difficiles à prouver. Les circuits financiers, notamment, sont particulièrement compliqués à remonter.

Une résolution de l’ONU permet aujourd’hui de poursuivre les pirates à terre mais, en pratique, c’est difficilement réalisable. On craint en particulier les dommages collatéraux : les familles des pirates vivent elles aussi dans les camps.

Au contraire, les commanditaires, les gros poissons donc, ne sont pas installés dans ces camps. Ils profitent de villas cossues à l’écart. En conséquence, s’en prendre aux camps reviendrait à s'attaquer seulement au symptôme, et non à la maladie.


Question de Yoga, à Douala au Cameroun - Comment l'autorité des pays concernés réagit-elle face à ce phénomène ?


Réponse du commandant Menut : Trois entités gouvernementales se partagent la Somalie. Chacune réagit très différemment à la piraterie. La première, le Somaliland, a l’air décidé à agir. Il a déjà arrêté des pirates à terre. A ma connaissance, c’est la seule des trois entités gouvernementales à avoir osé faire cela.
Malgré sa bonne volonté, la province du Puntland peine à arrêter, juger et mettre en prison les pirates. Le gouvernement de Mogadiscio, quant à lui, ne fait pour l’instant rien du tout.



Question de Jacqueline, Paris - J’ai beaucoup de mal à imaginer que de tels actes de piratage puissent avoir lieu toujours dans la même zone en dépit de notre vigilance et de nos moyens sophistiqués.

Réponse du commandant Menut - Nous sommes en effet nombreux dans la région. En ce moment, le golfe d’Aden est l’unique zone au monde à concentrer autant de navires militaires. Vingt-cinq bâtiments militaires de dix nationalités différentes patrouillent dans ces eaux. Mais il faut également comprendre que le périmètre à couvrir est immense : 2,1 millions de km2, soit quatre fois la France. En outre, notre action est limitée pour des raisons juridiques. Quand nous remettons des pirates aux autorités du Puntland, par exemple, les flibustiers se retrouvent bel et bien en prison mais informent tout de même leur clan de nos méthodes et de nos capacités techniques.


Question de Annie, Paris - Combien de personnes sont embarquées à bord, avec les journalistes ? Combien de temps dure ce voyage? Quelle relation y-a-t-il entre le bateau accompagné et l'accompagnateur ?
 

Réponse du commandant Menut - Notre équipage compte 95 personnes auxquelles s’ajoute une équipe de protection rapprochée (EPE), les commandos. Leur nombre reste secret pour des raisons de sécurité. Deux journalistes de FRANCE 24 nous accompagnent également pour cette escorte.


 

La mission dure trois mois et demi. Nous avons quitté La Réunion, le 26 décembre 2008. Nous y serons de retour le 8 avril 2009. Entre ces deux dates, nous alternons des périodes d’escorte de bateaux affrétés par le PAM (Programme alimentaire mondial) et des périodes de patrouille dans le golfe d’Aden pour prévenir les pirates et, si possible, les arrêter.
 


Nos contacts avec le bateau escorté, "Le Victoria" cette semaine, un navire battant pavillon jordanien, sont quotidiens. Une moyenne de huit contacts par jour. Nous communiquons par mail, par téléphone ou par radio. Les deux premiers moyens de communication sont privilégiés pour s’assurer d’une discrétion maximum.

Spontanément, une fraternité de marins nous lie. Elle est d’autant plus forte que les bateaux escortés sont soulagés de nous savoir à leurs côtés. Ils nous voient comme des "saint-Bernard des mers", une garantie de ne pas être pris, malmenés, kidnappés par des pirates.

D’un point de vue militaire "stricto sensu", nous avons déjà capturé des pirates. Les navires que nous escortons savent donc que nous n’hésitons pas à attaquer. Avec l’escorte française, ils ont le sentiment que rien ne peut leur arriver. Les journalistes de France 24 qui sont allés à la rencontre du commandant du "Victoria" nous ont rapporté que ce dernier était particulièrement heureux de notre présence : en mai dernier, son navire a été attaqué et détourné pendant neuf jours.


Question de Gabriel, Paris - Quel équipement utilisent les pirates ?

Réponse du commandant Menut - Les pirates sont armés de kalachnikovs ou des copies de "kalach". Ils ont également des lance-roquettes.

Tout cela, ils peuvent facilement se le procurer dans leur pays, en guerre civile depuis des années.
A terre, ils utilisent certainement des récepteurs AIS, des balises de réception pour repérer les bateaux de commerce. C’est pour cette raison que les navires commerciaux stoppent leurs balises dès qu’ils pénètrent dans le golfe d’Aden.


Question de grands-parents d'un matelot à bord, Javerlhac - Comment l'équipage vit cette mission? Quand revient-il à La Réunion ? 
 

Réponse du petit-fils, Romain P., timonier : En ce moment nous faisons de l’escorte. Je sais combien c’est utile. Combien c’est vital pour le Programme alimentaire mondial dont dépend la survie de milliers de Somaliens.

Quant aux périodes de patrouille, elles sont une réelle source de satisfaction. Pendant notre dernière patrouille, en janvier dernier, on a capturé des pirates. C’était très fort. A ce moment, on a vraiment réalisé que l’on n’était pas là pour rien.

En même temps, on voyait bien sur les visages des pirates que ce n’était pas de vrais méchants. Je me suis même demandé, l’espace d’une seconde, s’ils méritaient d’être chassés. Mais mes doutes n’ont été que très brefs. Très vite, je me suis souvenu qu’on était là pour ça, pour une cause juste.


A côté de l’excitation personnelle que peut procurer ce genre d’évènements et tous les autres moments forts que nous vivons ici, la capture des pirates a profondément renforcé les liens qui nous unissent. Même quand ca ne va pas, on ne veut pas laisser tomber les autres. Cette mission est ma première et je vais passer les deux prochaines années de ma vie sur "Le Floréal". Cette cohésion d’équipe me rassure.


Réponse du commandant Menut - L’équipage réagit remarquablement bien à cette mission, alors que seulement un quart des hommes avait déjà fait de l’opérationnel avant.
Le plus difficile, ça a été au début. Il a fallu tout de suite se mettre dans le bain. Maintenant, c’est une course de fond.  On n’a jamais le couteau sous la gorge, mais on est toujours prêt à réagir. L’équipage est bien rodé et, surtout, ne semble pas se lasser. C’est quelque chose qui aurait pu arriver sur ce genre de mission. Au contraire, j’ai l’impression qu’ils sont encore heureux d’être là. Ils se sentent utiles. Et ce sentiment est une motivation pour tous.

De mon côté, je suis à la fois heureux et fier. Fier de commander un équipage d’une telle qualité, heureux de la mission. 

 J’ai l’impression de pouvoir mettre mon expérience au service du navire et des plus jeunes. Un sentiment d’autant plus agréable que cet embarquement est très probablement mon dernier. J’ai 44 ans, l’âge limite pour être commandant. Notre retour à La Réunion est prévu pour le 8 avril 2009.


Question d'Antoine, du Congo Kinshasa - Où les pirates dépensent-ils l'argent des rançons ? Où trouvent-ils les armes et qui les entretient ?

Réponse du commandant Menut - Le sentiment d’appartenance à un clan est très fort chez les pirates. Bien plus fort que l’attachement à leur propre vie. Pour cette raison, une grande partie de la rançon revient au clan et à la famille. C’est un peu comme dans la mafia. Pour chaque pirate mort en mer, la famille reçoit 15 000 dollars.

En ce qui concerne la répartition de l’argent à proprement parler, c’est le commanditaire qui touche la plus grosse part. Ensuite, vient celui qui a négocié la rançon : l’interprète. Le reste est réparti en fonction du rôle de chacun. Le lance-roquette, par exemple, gagne plus que les autres parce que son arme est la plus lourde mais aussi la plus chère.

Bien souvent, les pirates embarquent avec leurs propres armes. En Somalie, en guerre civile depuis des années, ce genre d’armes est en "vente libre". On peut s’en procurer partout. Le commanditaire sert aussi parfois de fournisseur. Côté entretien en revanche, c’est assez limité. Les armes sont rouillées, souillées à tel point que nous les balançons à la mer dès qu’on en a la possibilité. C’est même la première chose que nous faisons une fois leurs skiffs maitrisés. Ces engins sont beaucoup trop instables pour qu’on les ramène à bord.