Soucieuse d'enrayer la crise qui secoue un Mali coupé en deux, la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) étudie la possibilité d'un déploiement militaire dans le pays. Mais l'organisation a-t-elle les capacités d'intervenir ?
Les chefs d'état-major de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se sont réunis jeudi 5 avril à Abidjan (Côte d'Ivoire) afin de discuter de l’envoi d’une force armée régionale au Mali, coupé en deux depuis la prise de Tombouctou, le 1er avril, par la rébellion touareg. Après avoir décrété, lundi, un "embargo total", économique, financier et diplomatique, contre la junte au pouvoir à Bamako, l’organisation régionale a décidé de hausser le ton.
Mais a-t-elle les moyens de déployer une force ? "Une intervention militaire est réalisable, indique à France24.com, Gilles Yabi, directeur du projet Afrique de l’Ouest chez l’ONG International Crisis Group basée à Dakar, au Sénégal. La Cédéao a fait beaucoup de progrès ces dernières années pour mettre en place une force militaire en attente dotée de moyens conséquents en termes d'hommes et de matériels."
À la recherche d'un soutien
L'Ecomog a été créée par la communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) en 1990 pour intervenir au Liberia, alors en proie à une guerre civile. Conçue au départ comme une solution temporaire, la Cédéao en fait une force permanente en 1999.
Outre le Liberia, l'Ecomog est intervenue en Sierra Leone, en Guinée-Bissau et en Côte d'Ivoire.
Le bras armé de l'organisation ouest-africaine, l'Ecomog, a déjà à son actif plusieurs interventions. Cette force, qui a compté jusqu'à 20 000 hommes, s’est notamment déployée au Libéria en 1990 et en Sierra Leone en 1997. Par l’intermédiaire de son président, l’Ivoirien Alassane Ouattara, la Cédéao a annoncé, le 31 mars "la mise en place immédiate de la force d'attente de la Cédéao", composée de 2 000 à 3 000 hommes "déjà en alerte". Le Nigeria, le plus peuplé des États de l'organisation, serait sans doute le principal contributeur de la force, son armée étant la plus puissante de la région.
"Les délais de mobilisation sont importants, cette force n’est pas disponible immédiatement. Et je ne crois pas que la Cédéao puisse, seule, projeter autant d’hommes sur le terrain en une ou deux semaines, explique Gilles Yabi. Les conditions climatiques et les distances au Nord, qui ont posé des problèmes à l’armée malienne, seraient également une difficulté pour la force de la Cédéao." D’où la nécessité d’un soutien logistique et matériel extérieur. Au cours de son histoire, à l’exception du Liberia en 1990, la Cédéao n’est jamais parvenue à opérer sans appui.
Ancienne puissance coloniale au Mali, la France a déjà annoncé qu’elle n’interviendrait pas militairement dans le pays. Interviewé ce jeudi sur FRANCE 24, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a toutefois déclaré qu’un appui logistique à la Cédéao, notamment pour du transport de troupes, était "tout à fait possible".
Un mandat à définir
La probabilité d'une intervention militaire dans un futur proche reste toutefois soumise à de nombreux autres facteurs. "On n’imagine pas une opération militaire au Mali sans un soutien explicite de l’Union africaine et des Nations unies, la légalité internationale l’exige", estime Gilles Yabi.
De plus, si le MNLA a annoncé jeudi la fin des opérations militaires dans le Nord et n’a pas de volonté de poursuivre les combats vers le sud, la situation sur le terrain est compliquée avec la prolifération de groupes islamistes armés qui n’ont pas formellement renoncé à conquérir la totalité du territoire malien pour y instaurer la charia. Il faudrait donc définir clairement la mission de l’Écomog au Mali : force d'interposition, d'intervention (dans le but remettre en place Amadou Toumani Touré, le président déposé par les putschistes le 22 mars) ou de confrontation avec les rebelles du Nord (afin de préserver l’intégrité du pays et assurer la sécurité des civils) ?
Si une intervention était décidée, elle serait inédite : la force armée de la Cédéao ne s’était jusque-là déployée que sur demande d’un État en prise à une guerre civile. "Traditionnellement, on est dans un schéma avec un État membre de la Cédéao qui demande une intervention et l’organisation régionale qui se prononce", explique Gilles Yabi. Ici, le chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo, a appelé à une intervention internationale "en urgence" pour préserver l’intégrité territoriale du pays, mais pas à Bamako. Seulement voilà, depuis le coup d’État, le Mali a été exclu de la Cédéao qui, comme l’Union africaine et les Nations unies, a appelé les militaires à quitter le pouvoir.
En l’absence d’autorité légitimement reconnue en place, Gilles Yabi estime que la Cédéao serait plutôt tentée de poursuivre vers une solution politique menant à la "restauration d’une autorité légitime à Bamako" avant l’envoi de toute force armée.