
Les Birmans doivent se rendre aux urnes ce dimanche pour des élections législatives hautement symboliques. Pour la première fois depuis 1990, l’égérie de l’opposition, Aung San Suu Kyi, est autorisée à y participer.
Après 50 ans de dictature, la Birmanie s’apprête à vivre des élections législatives partielles hautement symboliques. L’égérie de l’opposition, Aung San Suu Kyi, devrait, selon toute vraisemblance, remporter un siège, et son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), rafler une grande majorité des 48 sièges en jeu.
Une goutte d’eau dans l’océan : entre le Parlement national et les assemblée régionales, il existe en tout 1 158 sièges, aujourd’hui majoritairement aux mains de l’USPD, Parti de la solidarité et du développement de l’Union, créé de toute pièce par l’ancienne junte militaire au pouvoir.
Les élections de ce dimanche 1er avril ne feront donc pas basculer l’équilibre politique actuel dans le pays. Mais le retour sur la scène politique d’Aung San Suu Kyi, après 15 ans de privation de liberté, enfièvre les Birmans qui y voient la fin de cinq décennies d’inflexible autoritarisme, mené par l’un des régimes les plus fermés du monde.
L'opposante avait triomphé aux élections de 1990, mais jamais la junte n’a reconnu sa victoire. Celle que la rue a surnommée la "Dame de Rangoun" était encore en résidence surveillée 20 ans plus tard, en novembre 2010, lors de législatives boycottées par la LND et qualifiées de mascarade par l'Occident.
"Un premier pas dans le processus démocratique"
"Les élections de dimanche sont, à l’échelle de l’histoire du pays, très importantes", affirme Suzanne Dimaggio, spécialiste de la Birmanie au sein de Asia Society, une organisation basée à New York et chargée de promouvoir des politiques de développement en Asie. "Elles riment avec un retour de l’opposition en Birmanie pour la première fois depuis des décennies. C’est un premier pas dans le processus démocratique. Mais le test réel sera en 2015, lors des prochaines élections législatives", poursuit la chercheuse.
Ce vendredi lors d’une conférence de presse, Aung San Suu Kyi a fustigé les irrégularités du scrutin de dimanche. "Je ne pense pas que nous puissions considérer que c'est une élection libre et juste si l'on tient compte de ce que l'on a observé ces derniers mois", a-t-elle déclaré, apparaissant encore fragile mais déterminée. Malade et épuisée, elle avait été contrainte d’annuler ses derniers meetings de campagne le week-end dernier.
Elle reproche à ses adversaires d’avoir vandalisé ses affiches de campagne, de manipuler les listes électorales en y ajoutant, par exemple, des personnes décédées, et de commettre "de nombreux actes d’intimidation" à l’égard de candidats. Des cas de clientélisme électoral, d’achats de voix et de pressions pour assister aux débats, de la part de l'USPD ont par ailleurs été recensés.
Malgré ces critiques, la lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991 a réitéré son engagement dans les élections. "Nous sommes toujours déterminés à aller de l'avant, parce que c'est ce que notre peuple souhaite, a-t-elle assuré. Nous n'avons jamais fait de compromis sur le plan des principes [...] Notre opinion est qu'une fois au Parlement, nous pourrons travailler pour une véritable démocratisation."
Redorer l’image de la Birmanie
Depuis près d’un an, la Birmanie multiplie les gestes d’ouverture. En juin 2011, la junte militaire au pouvoir depuis 1962 a laissé la place à un gouvernement civil – en réalité majoritairement composé d’anciens militaires réformistes – qui s’est attaché à redorer l’image de la Birmanie auprès des Occidentaux, notamment dans le but d’obtenir la levée des sanctions décidées en Europe et aux États-Unis à la fin des années 1990.
Après la libération, en janvier, de 651 prisonniers politiques, l’Europe a déjà allégé son régime de sanctions. La levée totale des sanctions occidentales contre le pays dépend notamment du déroulement des élections de dimanche. Le régime a, grande première en Birmanie, autorisé des observateurs étrangers – dont cinq de l’Association des pays du sud-est asiatique (Asean), à venir assister au scrutin. Un certain nombre de journalistes étrangers ont également obtenu des visas pour venir couvrir les élections.
"Nous aurions été plus convaincus de la bonne foi du régime s’il y avait eu un observateur de l’ONU, modère Suzanne Dimaggio. Mais la Birmanie est restée hermétique pendant des décennies. Le fait qu’ils autorisent des étrangers à assister aux élections est très significatif". Si David Mathieson, spécialiste de la Birmanie pour Human Rights Watch, applaudit l’ouverture du régime, son enthousiasme est plus mesuré. "La Birmanie reste un pays profondément corrompu. Ce serait une folie de lever immédiatement les sanctions."