Quelques jours après la mort de Chenouda III, pape de l’Église copte orthodoxe qui a régné plus de 40 ans, les fidèles égyptiens s’interrogent sur le rôle de son successeur alors que la communauté a un fort sentiment de marginalisation.
Comme le veut la tradition copte, c’est par la main d'un enfant de moins de 9 ans, synonyme d'innocence et de pureté, que "la main de Dieu" désignera le successeur de Chenouda III, le primat de l’Église copte orthodoxe décédé le 17 mars dernier. L’enfant, les yeux bandés, devra tirer au sort un nom parmi les trois candidats ayant rassemblé le plus de suffrages au sein de la communauté.
La coutume prévoit que la désignation du nouveau pape ne peut avoir lieu que soixante jours après le décès. Une nomination qui risque de coïncider avec l’élection du nouveau président de la République égyptienne et la composition du nouveau gouvernement, prévues pour la fin du mois de mai, alors que la communauté copte, qui représente entre 6 % et 10 % de la population égyptienne, se sent peu représentée dans les institutions et la haute administration..
Élection à bulletins secrets
Pour postuler à la fonction de pape et de patriarche de l’Église copte orthodoxe, le candidat doit être un homme, âgé de plus de 40 ans, célibataire, avoir passé 15 ans dans un monastère, et avoir le soutien d’au moins sept évêques du synode ("el-magmaa el-maskouni").
Une élection doit ensuite avoir lieu à bulletin secret, à laquelle sont conviés les 130 membres du synode, les personnalités coptes qui ont joué un rôle politique en Égypte (comme par exemple Boutros Boutros-Ghali, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU), sans oublier un certain nombre de laïcs, désignés par chaque paroisse. C’est à l’issue de ce scrutin démocratique que les noms des trois premiers candidats, qui ont reçu le plus grand nombre de voix, sont présentés à l’enfant aux yeux bandés. En 1971, le futur pape Chenouda III était arrivé deuxième au scrutin, mais premier dans le tirage au sort effectué par l’enfant.
Dans ce laps de temps, et selon la tradition, c'est l'évêque le plus âgé qui assure l’intérim : actuellement Pachomius de la province de Beheira, dans le delta du Nil. Les noms des candidats potentiels, dont certains proches de Chenouda III, commencent à circuler.
Parmi eux, l'évêque Youannis, ancien secrétaire personnel du pape défunt réputé pour être très ambitieux et sûr de lui. La vierge Marie lui aurait annoncé qu’il serait le 118e pape, rapporte le journal proche des révolutionnaires de la place al-Tahrir. Mais il est peu apprécié de la population. En revanche, Mgr Moussa, évêque populaire longtemps en charge de la jeunesse, qui serait gravement malade, figure parmi les favoris. Contrairement au patriarche qui avait soutenu publiquement Hosni Moubarak au début de la révolution en janvier 2011, l'évèque était lui resté neutre.
Nouvelle ère politique et religieuse
Une nouvelle ère s’ouvre, autant au niveau politique que religieux, pour une communauté copte dont le poids politique n’a jamais été aussi faible. Les députés coptes ne détiennent que 1 % des sièges au Parlement, loin derrière les Frères musulmans et les salafistes. Mais la révolution est passée par là et a transformé le rapport des jeunes coptes au politique. "La révolution égyptienne a entraîné une évolution au sein de l’église, qui était jusque là très fermée", explique Michel Leclair, religieux catholique vivant en Égypte depuis quatre décennies. "Les coptes étaient particulièrement très fermés sur eux-mêmes, ne se mêlant pas de l’action politique et civique, et comptant sur leurs autorités religieuses pour toutes les questions relevant de l’État. Hosni Moubarak et Chenouda III s’en accommodaient très bien. Puis les coptes ont participé à la révolution et ont acquis un niveau de conscience civique qui aura forcément un impact sur la marche interne de l’église : ces laïcs coptes ont contrevenu aux indications du pape, qui leur déconseillait d’aller manifester durant la révolution."
Passés de la conscience communautaire à la conscience individuelle de leurs droits, les Coptes voudraient maintenant que leur prochain pape s’en tienne aux questions religieuses. Les pratiquants avaient beau être très attachés à Chenouda III, qui représentait pour eux un symbole fort de protection, notamment après l’attentat contre l’église d’Alexandrie survenu dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2011, beaucoup lui reprochent de s’être trop mêlé de politique. Le décalage est particulièrement ressenti par les jeunes coptes, devenus majoritairement antimilitaires depuis qu’une manifestation a été durement réprimée devant le siège de la télévision d’État, faisant plus de vingt morts.
"C’est l’expression d’un souhait profond chez les Coptes : séparer la religion de l’État. Vivre dans un État de droit et laïc. Si le pays y parvient, tous les Égyptiens y gagneront, et nous aussi", résume Jean Maher, représentant des associations coptes en France et président de la toute jeune Organisation franco-égyptienne des droits de l’homme.