Au lendemain de la série de lynchages publics et de passages à tabac contre des voleurs présumés, les autorités boliviennes se sont indignées des excès de la "justice communautaire", une pratique indigène pourtant courante dans le pays.
Une série de lynchages publics et de passages à tabac contre des voleurs présumés en Bolivie a lancé la polémique sur la "justice communautaire", une pratique indigène courante dans le pays, dont les autorités dénoncent le dévoiement.
Premier chef de l'Etat originaire de la communauté andine, Evo Morales n'imaginait pas cette dérive lorsqu'il a inscrit le principe d'un usage local de la justice dans la nouvelle Constitution, qu'il entend proposer par référendum en janvier prochain.
De récentes scènes d'horreur ont ouvert le débat sur la question qui met en porte-à-faux le système judiciaire. Deux délinquants ont péri lundi dans le village andin d'Achacachi, brûlé vifs après avoir subi des tortures, sous les cris d'une foule survoltée.
Cette pratique brutale et expéditive de la justice, sans autre forme de procès, a déjà fait cette année au moins dix-sept victimes, dont trois policiers.
"Ce n'est pas cela la justice communautaire. Si les habitants d'Achacachi ont pensé qu'ils appliquaient la justice communautaire, ils se sont trompés", a affirmé le Défenseur du peuple, Waldo Albarracin. La foule a commis "un crime qui s'apparente à un homicide ou un assassinat", assène-t-il.
Toutefois, ce médiateur local comprend le geste des villageois livrés à eux-même et victimes du "manque de protection de l'Etat". "Malheureusement, l'Etat ne fournit pas ce que plusieurs régions réclament, la sécurité, la protection de la vie et des biens", déplore-t-il.
Le vice-ministre bolivien de la Justice, Wilfredo Chavez, a lui-même reconnu que 60% des villages éloignés des centres urbains souffrent d'un "abandon de l'Etat", tout en plaidant pour le concept de justice communautaire", en proie à une dérive, selon lui.
Selon le représentant du gouvernement, cette pratique, inscrite dans le projet de réforme constitutionnelle, ne consiste pas à "infliger la peine de mort ou porter atteinte à l'intégrité physique".
Il s'agirait tout au contraire, à l'en croire, d'une "forme de restauration qui vise à réparer l'offense, le préjudice, d'une façon plus ou mois proche de la justice civile".
Le vice-ministre assure que cette question est devenu un "cliché" brandi par ceux qui ne comprennent rien aux "us et coutumes des peuples indigènes", que le président Evo Morales, grand pourfendeur de l'héritage colonialiste, entend rétablir dans la gestion publique.
Dans la nouvelle Constitution soumis à ce pays de 10 millions d'habitants, le plus pauvre d'Amérique du Sud, le principe de la "justice communautaire" est inscrit au chapitre "Juridiction indigène, native et paysanne".
Mais les dirigeants de l'opposition libérale sont loin de partager la teneur "indigéniste" du programme gouvernemental, pas plus qu'ils n'acceptent ses projets de redistribution des richesses au profit des communautés défavorisées des Andes.
De nombreuses voix s'élèvent pour accuser M. Morales d'"avoir libéré un démon", en encourageant ce "type d'actions" dans le domaine de la justice, au nom du gouvernement.
Pour le sénateur d'opposition, Luis Vasquez, membre du parti Pouvoir Démocratique et Social (Podemos), dirigé par l'ancien président conservateur Jorge Quiroga, les lynchages d'Achacachi "ont démontré à quel point le sens de l'Etat a été perdu".
"Nous demandons au gouvernement qu'il assume sa responsabilité : vous avez libéré le diable, vous avez donc l'obligation de le contrôler et le remettre dans sa boîte dans le cadre de la loi", a-t-il déclaré, dans un entretien au quotidien La Prensa.
Après les exactions commise dans le village andin, les autorités ont annoncé l'ouverture d'une enquête et promis d'en "punir les auteurs intellectuels et matériels". "On ne peut pas se faire justice soi-même", a assuré le vice-ministre de l'Intérieur, Ruben Gamarra.