Des commentateurs de la vie politique belge veulent croire que l’accident de car qui a endeuillé le pays peut lui permettre de s’engager sur la voie de la réconciliation. Un optimisme que ne partage pas le politologue Jean Faniel.
La Belgique toute entière est en deuil. Le pays a observé une minute de silence vendredi 16 mars dans tout le royaume pour rendre hommage aux 22 enfants et aux six adultes décédés dans un accident de car deux jours plus tôt en Suisse. Sortie il y a quelques mois d’une crise politique, qui a vu le pays être privé de gouvernement pendant 540 jours, et toujours divisée par la frontière linguistique, la Belgique tient à apparaître soudée dans ce que le premier ministre Elio Di Rupo a qualifié de "tragédie nationale".
La ministre des Affaires sociales, Laurette Onkelinx, a, elle, déclaré jeudi 15 mars sur l’antenne de la radio Bel RTL que la Belgique était parvenue à "faire fi de ses différences culturelles, linguistiques, régionales". Du côté de la presse, le grand quotidien bruxellois "Le Soir" veut voir dans cette tragédie une chance pour l’unité de la Belgique. Dans un éditorial publié vendredi 16 mars, le journal souligne un regain d’intérêt dans le pays pour le mot "national". "Et voilà qu’il ressurgit, comme une évidence, pour couvrir une émotion, un choc collectif".
"Une unité de façade"
itQuant aux médias télévisuels, qu’ils soient francophones ou néerlandophones, ils ont largement couvert la mort tragique de ces enfants flamands, à grand renfort d’éditions spéciales. Mais François Heinderyckx, professeur à l'université libre de Bruxelles et spécialiste des médias, pointe toutefois les limites de cette belle unité entre Wallons et Flamands. "Tandis que les médias francophones ont titré sur le deuil national, certains médias néerlandophones ont eux préféré parler de drame pour la Flandre."
Confronté à une tragédie d’une telle ampleur, les Belges vont-ils décider de mettre de côté leurs vieilles divisions ? "C’est aller un peu vite en besogne", estime le chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques de Bruxelles Jean Faniel. Selon lui, cette "unité de façade" ne devrait pas durer. "Cela reste un fait-divers et, aussi tragique soit-il, ce n’est pas un fait politique ou social. Je ne vois pas en quoi il pourrait avoir des effets à long terme."
"Des défis plus importants"
Et le politologue de s’appuyer des exemples concrets pour appuyer son point de vue. "Lors de la tuerie de Liège, en décembre dernier [un homme avait ouvert le feu dans le centre de cette ville de Wallonie, tuant 5 personnes ndlr], on avait déjà sorti le même type d’argument, mais cela n’avait pas empêché le pays de connaître deux grèves générales dans les semaines qui ont suivi", rappelle-t-il. "De même que l’affaire Dutroux, qui avait choqué le pays tout entier, n’a pas empêché le développement du mouvement national flamant", analyse-t-il.
Selon lui, les différences devraient bien vite resurgir, d’autant que "des défis autrement plus importants se profilent à l’horizon". "Une révision de la Constitution a été adoptée jeudi 15 mars par le Parlement, la NV-A [Nouvelle alliance flamande, parti qui prône l’indépendance de la Flandre ndlr] ne va pas attendre longtemps avant de la critiquer à nouveau." Une fois la période de deuil achevée, le jeu politique devrait reprendre de plus belle. "L’accident de car paraîtra bien loin à ce moment-là", prédit Jean Faniel.