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Paris tente de dépassionner le 50e anniversaire des accords d'Évian

Par peur des controverses à un mois de l'élection présidentielle, les autorités françaises s'apprêtent à célébrer en toute discrétion, le 19 mars, le 50e anniversaire des accords d'Évian qui mirent fin à la guerre d'Algérie.

Moins bien que la création du magazine "Salut les copains". Sur leur site Internet, les Archives de France consacrent 20 lignes au 50e anniversaire des accords d’Évian, qui mirent officiellement fin, le 19 mars 1962, à huit années de guerre en Algérie, mais en dédient près de 60 à la parution du premier numéro du célèbre mensuel des années "yé-yé".

Cette différence de traitement illustre la volonté de Paris de dépassionner la commémoration du 19 mars 1962 qui, à près d'un mois de l’élection présidentielle française, pourrait tourner à la polémique. Dans un souci d’objectivité, la direction des Archives a ainsi décidé d’expurger sa notice de ses références les plus sensibles. Exit donc les mentions à l’Organisation armée secrète (OAS), aux harkis, à l’exode des pieds-noirs et même au général de Gaulle.

"La direction des Archives a estimé que, pour le moment, la sensibilité étant encore un peu à nu sur le sujet, rentrer dans le détail risquait de soulever des protestations", a précisé à l’AFP Philippe-Georges Richard, délégué aux commémorations nationales.

Sarkozy prend les devants

Soucieux de prévenir un éventuel déchaînement des passions lors des célébrations, le chef de l’État sortant, Nicolas Sarkozy, a pris soin de ne pas attendre le 19 mars pour s’adresser à ceux qui considèrent la signature des accords d’Évian comme l’élément déclencheur de l’exode des pieds-noirs (les Français qui vivaient en Algérie au moment du conflit) et du massacre de milliers de harkis (militaires indigènes ayant combattu au sein de l’armée française). Dans une interview accordée début février à France24.com, Bernard Coll, secrétaire général de l'association Jeune pied-noir, affirmait que "cette date ne peut pas être une fête. Le 19 mars 1962 au soir, 48 harkis étaient massacrés par le FLN [Front de libération nationale] à Saint-Denis-du-Sig, en Oranie. Ce massacre n’a été que le premier d’une longue série."

C’est donc le 9 mars, lors d’un déplacement à Nice, dans le sud de la France, que le président-candidat s’est adressé aux rapatriés d’Algérie. Dans un discours prononcé devant leurs représentants, Nicolas Sarkozy a officiellement reconnu que les autorités françaises s'étaient rendues coupables "d'injustice" et "d'abandon" envers les 200 000 Algériens engagés aux côtés de l’armée française durant le conflit. "Nous, les autorités, avons une dette vis-à-vis des harkis", avait-il déclaré, avant de nuancer "mais je ne veux pas qu'elle soit portée par une communauté nationale qui n'y était pour rien."

À cette occasion, le numéro un français avait également évoqué le "cauchemar" du million de Français d'Algérie qui avaient été contraints, en 1962, de choisir entre "la valise ou le cercueil".

Des propos censés redorer son image auprès d’une population à qui il avait promis, lors de sa campagne en 2007, qu’une fois au pouvoir, il reconnaîtrait "officiellement la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis et d’autres milliers de 'musulmans français' qui lui avaient fait confiance, afin que l'oubli ne les assassine pas une nouvelle fois".

Cinq ans après cette sortie, les associations de pieds-noirs et de harkis attendent toujours que l’actuel locataire de l’Élysée honore son engagement. "Nicolas Sarkozy a deux mois pour tenir ses promesses, vitupère Gabriel Mène, président de l’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie (Usdifra). C’est une question de justice et de droits."

L’illusion d’un "vote pied-noir" ?

Pour faire entendre leurs revendications, les rapatriés militants font valoir une étude publiée en janvier par le Centre de recherches de Sciences Po (Cevipof) selon laquelle les pieds-noirs ou les personnes revendiquant une ascendance pied-noir représentent 3,2 millions de votants, soit 7,3 % de la population française figurant sur les listes électorales. Une véritable réserve de voix, plutôt portée à droite, que se disputent les principaux candidats à la présidence.

Pour l’historien Jean-Jacques Jordi, toutefois, le "vote pied-noir n’existe pas". Interrogé le 2 mars par le site Internet du quotidien "La Croix", ce spécialiste des rapatriés d’Algérie estime que "le nombre le plus important de votants pieds-noirs a été atteint entre 1980 et 1985. Aujourd’hui, cela représente 600 000 votes." Et d’ajouter : "rien nous prouve, en outre, qu’ils votent comme un seul homme".

Selon les chiffres contenus dans le rapport du Cevipof, Marine Le Pen, la candidate du Front national (FN, extrême droite), récolte 28 % des intentions de vote de cet électorat, juste devant Nicolas Sarkozy et le socialiste François Hollande, tous deux à 26 %.