
En Russie, une nouvelle drogue fait des ravages : la désomorphine, surnommée "Crocodile". Accessible, bon marché et terriblement additive, elle connaît un large succès. Mais ceux qui la consomment, quand ils ne meurent pas à la première injection, voient leur jambes noircir, leur peau peler et se couvrir d’abcès.
D’après les chiffres officiels, la Russie compte 5 millions de toxicomanes - presque le double selon les associations indépendantes... Ils se shootent essentiellement avec de l’héroïne en provenance d’Afghanistan et la Russie est classée premier pays consommateur d’héroïne au monde. Une situation que les autorités qualifient de "narco catastrophe"… Depuis 2005, la lutte contre le trafic de drogue s’est intensifiée, les saisies ont atteint des records. Du coup, la "brune" est devenue plus chère et plus rare. Mais en l’absence d’une véritable politique de réhabilitation des toxicomanes, dans un pays ou la méthadone est interdite, beaucoup ont commencé à chercher des produits de substitution.
Il y a quelques mois à Moscou, on a commencé à entendre parler d’une nouvelle drogue absolument terrible : une sorte d'héroïne de synthèse, quinze fois plus nocive et dont les effets, terrifiants, venaient à bout des consommateurs en un temps record.
Quelques reportages ont filtrés dans les médias russes, mais on avait toujours très peu d’information sur le sujet… On savait juste que les toxicomanes surnomment ce nouveau produit "Crocodile". Rapidement des vidéos sont apparues sur Youtube. Des addicts aux membres amputés, les bras décharnés, des personnes qui pourrissaient vifs… Des images effrayantes.
Nous sommes partis à Ekaterinbourg, dans le bassin de l’Oural, une des villes les plus touchées. Premier arrêt sur place : le "dispensaire narcologique municipal", une sorte de clinique d’État ou les addicts peuvent se requinquer pendant quelques jours.
Dans le couloir, nous croisons la frêle silhouette de Maxime, un junkie de 32 ans. Le regard vide, les veines noircies par dix ans de consommation d’héroïne et un an de "Crocodile"… Le ton est donné. Après l’interview, Maxime nous dira qu’il rentre chez lui se reposer un peu avant de se remettre à "cuisiner"...
Le "Crocodile" est fabriqué à la maison, avec des médicaments à base de codéine, de l’essence, de l’iode… L’odeur des produits chimiques est tellement forte qu’un laboratoire artisanal ne fonctionne que quelques mois avant d’être découvert.
Cette odeur est impossible à transmettre en images. Cette odeur insoutenable qui règne dans ces appartements ou les drogués vivent, préparent la drogue et se piquent. Pour eux, cela devient un mode de vie, un boulot à plein temps. Il faut cuisiner, injecter, cuisiner, injecter…
Lors du tournage de ce reportage, nous avons assisté à deux raids dans ces appartements-laboratoires. La première fois avec la brigade des stupéfiants, la deuxième fois avec les enquêteurs de l’association "une ville sans drogue". Et à chaque fois le même constat : tous les addicts ont commencé à se shooter au "Crocodile" parce qu’ils n’arrivaient plus à trouver de l’héroïne, ou parce qu’elle était trop chère… Apres le cristal meth américain, la Russie a trouvé sa drogue du pauvre.