La guerre coûte cher et les Etats n'ont plus les moyens financiers de l'assumer. Après les transports et la grande distribution, le low-cost a fait son entrée dans le domaine militaire. Le Journal de l’Intelligence Economique d’Ali Laïdi a enquêté sur les nouvelles guerres bas de gamme.
12 Juillet 2006. Les premiers tirs israéliens retentissent au Sud-Liban. Tsahal réplique à l’enlèvement de deux de ses soldats par la branche armée du Hezbollah, le mouvement chiite libanais.
L’artillerie est à l’image de la grande puissance militaire, c'est-à-dire lourde et ultra-technologique: chars de combat, avions de chasse, drones. Durant les 5 semaines de guerre, l’armée israélienne lance 20 000 bombes, 2000 missiles et 120 000 obus. En face, les 3000 combattants chiites ripostent à coup de roquettes. Mais leur capacité de résistance déroute l’Etat-major. A la fin de la guerre, le bilan est désastreux pour Israël : le pays a déboursé en moyenne 10 millions de dollars par combattant tué, sans parvenir à neutraliser le Parti de Dieu, ni à libérer les soldats enlevés.
Pour le Colonel Michel Goya, chercheur à l’Ecole Militaire, l’échec israélien est révélateur d’une crise du modèle occidental de la guerre. « C'est à dire qu'on se retrouve en situation d'emploi d'outils, d’équipements extrêmement sophistiqués conçus au départ pour la guerre froide, pour affronter des armées classiques, les forces du pacte de Varsovie en l'occurrence et qu'on se retrouve à employer face à des guérillas, c'est à dire des gens équipés d'une kalachnikov et de lances roquettes des années 1960, des armements très légers. »
Pour Olivier Kempf, contributeur de l’ouvrage « Les Guerres low-cost », les guerres d’aujourd’hui sont des guerres asymétriques. D’un côté des armées ultra-sophistiquées. De l’autre des combattants low-cost, équipés d’armes de fortune, bien implantés localement et surtout prêts à mourir. Et le rapport de force n’est pas du côté de la technologie. Depuis 2001, les armées classiques n’ont pu venir à bout des groupes non étatiques du Grand Moyen-Orient. Et pourtant, leurs dépenses représentent 90% du budget militaire mondial. La guerre en Afghanistan à elle seule coûte 2 milliards de dollars par semaine aux Etats-Unis, pour des résultats assez limités.
Pour Michel Goya, le zéro risque est en cause. « C'est à dire qu'on se retrouve dans une situation où la crainte d'avoir des pertes est un frein considérable à l'action des forces armées. On diminue les risques de façon à diminuer les pertes suivant la croyance que l'opinion publique ne suivra pas des opérations s'il y a trop de pertes. »
Donc pour éviter les pertes, les armées abandonnent peu à peu le terrain et optent pour les frappes à distance. Surtout, les effectifs diminuent. « Sur place effectivement, explique le Colonel Héluin, chef d’un bataillon en Afghanistan, il est plus facile pour une démocratie de faire effort sur le capital que de faire effort sur l'humain, parce que le Président, chef des armées en l'occurrence a donné comme ordre et avec l'autorisation du Parlement d'engager 4000 hommes pas 4001. »
Résultat : la victoire tarde à arriver. Selon le Rapport Ramsès 2012, il faudrait 700 000 soldats sur le sol afghan pour inverser la tendance. Mais, la coalition n’en compte que 130 000. Pour Michel Goya, il faut remettre des hommes au sol. « Si on veut vraiment avoir une action sur la population, ce qui est le coeur du sujet dans ce type de conflits, il n'y a pas de secret, il faut soit y mettre du monde, soit former des gens localement pour qu'ils y aillent. »
Troisième option, choisie par les Américains : les sociétés militaires privées qui offrent plus de souplesse. Ces contractuels sont payés moins cher et aucune retraite ne leur est versée. Mais l’argument porte aujourd’hui. Les futures guerres low-cost risquent donc de mettre sur la touche les militaires au profit des mercenaires. Le problème, c’est que le privé a intérêt à ce que les guerres continuent.
Dernière option : former des locaux. « C’est ce que font les Américains en Afghanistan, explique Olivier Kempf. L’armée afghane aujourd’hui commence à reprendre des territoires. »
Quant à savoir si les armées régulières doivent investir dans des équipements moins technologiques et pour un coût moindre, « le débat commence à agiter la communauté stratégique », reconnaît-il.