
Lassé du manque d'intérêt des candidats à la présidentielle pour la question des banlieues, le collectif AC-Lefeu a décidé de frapper fort : pendant trois jours, il a installé un "ministère de la crise des banlieues" dans le centre de Paris.
De la banlieue au Marais, à Paris, les militants du collectif AC-Lefeu ont sauté le pas. Créé au lendemain des émeutes qui, en 2005, avaient enflammé de nombreuses banlieues françaises, le collectif s’est invité ce jeudi au cœur de la capitale pour "remettre la banlieue au centre du débat électoral", selon Mohamed Tiba, l’un des membres fondateurs du collectif. AC-Lefeu, lassé d’entendre la crise économique éluder la crise des banlieues dans la campagne électorale, a donc installé son "ministère de la crise des banlieues" dans l’hôtel de Chalons-Luxembourg mis à disposition par la mairie de Paris, dans le très cossu 4e arrondissement de la capitale.
De l’extérieur, la grande bâtisse du XVIIe, classée aux monuments historiques, a de l’allure. Sa façade en briques et pierres de taille donne sur une petite cour pavée sur laquelle descendent deux charmants petits escaliers de pierre blanche. Les militants y ont déployé une banderole indiquant le nom de leur ministère. À l’intérieur en revanche, les murs se fissurent, les parquets s’effritent, l’escalier menant au premier étage, croulant, a été condamné à l’aide de panneaux de contre-plaqué. Une vitrine de l’état de certaines banlieues, quatre ans après le lancement en grande pompe du Plan espoir banlieue en 2008, censé, entre autres, désenclaver les cités et rénover les logements.
"Dans certaines banlieues, on se retrouve au Moyen-Âge, assure Mohamed Tiba. À Clichy-sous-Bois [ville située à une quinzaine de kilomètres de Paris où, en 2005, les émeutes avaient éclaté après la mort de deux jeunes, NDLR], certains quartiers se délabrent de plus en plus : les ascenseurs ne fonctionnent plus, les portes ont été soudées. Les gens ont donc mis en place des systèmes de poulies pour monter leurs courses. On voit aussi des personnes louer leurs services aux habitants pour monter leurs courses." Un autre monde, à seulement quelques kilomètres de Paris. De Clichy-sous-Bois, il ne faut pas moins d’une heure et demi pour arriver au cœur de la capitale.
"On vient jusqu’aux candidats"
"Comme les candidats ne venaient pas jusqu’à nous, on a voulu venir à eux", explique le jeune militant, un tee-shirt noir à l’effigie du collectif enfilé par dessus son blouson. "Notre idée, au début, était d’investir un immeuble à la façon de Jeudi noir [un collectif contre le mal-logement et la hausse des loyers qui squatte régulièrement des immeubles vides, NDLR], poursuit Mohamed Tiba. Mais on s’est dit que si c’était pour faire un coup médiatique de deux heures et être ensuite expulsé par les CRS, ce n’était pas la peine. Alors la mairie de Paris a proposé de mettre ce lieu à notre disposition." AC-Lefeu a frappé fort. Un coup médiatique efficace : les articles et les reportages se multiplient depuis trois jours dans la presse.
Depuis mardi, jour de "l’inauguration" du "ministère de la crise des banlieues", trois candidats se sont succédé dans l’hôtel particulier du Marais. Philippe Poutou, pour le Nouveau parti anticapitaliste, François Hollande, pour le Parti socialiste, et Eva Joly, pour Europe-Ecologie-Les Verts, sont venus discuter avec les militants du collectif. Le président sortant et candidat à sa succession Nicolas Sarkozy ne s’y est pas montré. "Je ne suis pas surpris que Sarkozy n’ait pas pris la peine de se déplacer", commente Nabil, un jeune homme de 26 ans. Lui n’est pas membre d’AC-Lefeu mais, habitant de Clichy-sous-Bois, il est venu apporter son soutien au collectif. "En ne venant pas ici, 'Sarko' prouve simplement qu’il n’en a rien à foutre de la banlieue. Mais ça, on le savait déjà."
Dans ce qui fait office de salle de presse du "ministère de la crise des banlieues" se bousculent des militants d’AC-Lefeu, des curieux, des sympathisants, une foule de journalistes et quelques personnalités. Le chanteur Ridan, victoire de la musique 2005, originaire de Chelles, ville proche de Clichy-sous-Bois, est venu lui aussi apporter son soutien à une "initiative qui a beaucoup de sens". "Il va falloir aujourd’hui mener une nouvelle politique, déclare-t-il. Il faut de la justesse, de la vigueur et un grand grand grand travail d’équité sur le plan culturel, social et politique."
Jeudi soir, après trois frénétiques journées dans l’hôtel Chalon-Luxembourg, le "ministère de la crise des banlieues" a fermé ses portes. AC-Lefeu ne souffle pas pour autant. Le collectif entame mi-mars une tournée dans 16 villes de France. Lille, Le Havre, Rennes, Nantes, Bordeaux, Metz… L'objectif : promouvoir son programme au-delà de la région parisienne. "Nous nous appuyons sur un large tissu associatif à travers la France. Nous récoltons aussi des idées de cette manière, conclut Mohamed Tiba. C’est aussi ce qui fait notre force."