
La deuxième ville de France, qui accueille dimanche un grand meeting de soutien au candidat Nicolas Sarkozy, est l’objet de toutes les attentions du ministère de l’Intérieur, qui a nommé en 2011 un proche du pouvoir au poste de préfet de police.
Porte d’Aix, à l’entrée nord de Marseille. De jour comme de nuit ou presque, une voiture de police est stationnée sous l’Arc de triomphe. Un grillage barre totalement l’accès à la grande pelouse, un temps occupée par un camp de Roms. L’endroit revêt désormais un caractère hautement symbolique. C’est ici que, le 29 août dernier, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant est venu sur les lieux installer un nouveau préfet à la sécurité : Alain Gardère, proche de Nicolas Sarkozy.
Troisième préfet de police en deux ans, le nouveau responsable de la sécurité se voit confier la mission de juguler une délinquance en hausse (+28% pour les vols à main armée) dans la Cité phocéenne, fief de Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire UMP depuis 1995.
Mais à peine le nouveau préfet installé, la ville subit fin 2011 une vague de faits divers tragiques. Des fusillades à la kalachnikov font quatre morts dans des règlements de comptes liés aux trafics de drogue. Un policier est abattu par des pilleurs d'entrepôts durant une course-poursuite. Venu en personne début décembre au commissariat central de Marseille, Nicolas Sarkozy annonce le décès de l'agent et un armement renforcé pour les policiers.
"Récupération nationale"
Pour Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS et directeur de l’Observatoire régional de la délinquance, Marseille est instrumentalisée. "Tout ceci relève de la récupération nationale d’une question locale, dénonce le sociologue. Le grand banditisme est quelque chose qui ne concerne pas la vie quotidienne des Marseillais, dont le risque statistique reste principalement de se faire voler leur sac ou leur téléphone portable." Marseille serait ainsi victime de sa propre légende. "Il y a ici un imaginaire du bandit italo-corse qu’il n’y a pas à Lyon ou Grenoble, où existe pourtant également un milieu", poursuit Laurent Mucchielli.
Les syndicats de police, qu’ils soient classés à droite ou à gauche, regrettent souvent ce regard sur la ville. "C’est la conséquence de faits ultra violents et peut-être aussi d’une politique qui, malheureusement, ne porte pas ses fruits, étant donné le manque de moyens humains", déplore Diego Martinez, secrétaire départemental du syndicat majoritaire Unité SGP Police-FO. "Cette médiatisation ne rend pas audible les résultats : j’en veux pour preuve le taux d’élucidation, qui est en hausse", argumente de son côté David-Olivier Reverdy, secrétaire régional du syndicat Alliance.
"Un laboratoire du discours sécuritaire"
De l’avis des syndicats de police et des élus locaux de tout bord, la situation s’améliore pourtant dans l’hyper centre-ville, où des périmètres de sécurité renforcés ont été mis en place dans deux secteurs populaires : Noailles et porte d’Aix. "Cela montre que lorsque la police est déployée sur le terrain, les résultats sont là, relève Diego Martinez. Mais les problèmes se sont déplacés dans d’autres quartiers." "A Marseille, il y a des zones de concentration de pauvreté qui côtoient d’autres de grande richesse, rappelle Laurent Mucchielli. Fatalement, la petite et moyenne délinquance économique s'en trouve exacerbée."
Ville pauvre souffrant d'une délinquance en hausse, "Marseille est avant tout un laboratoire de l’UMP pour le discours sur la sécurité, celui qui consiste à faire le lien entre délinquance et immigration", tranche Laurent Mucchielli. Et de rappeler la phrase polémique de Claude Guéant qui, interrogé sur les raisons de l’insécurité dans la Cité phocéenne, affirmait en septembre dernier : "Je peux vous dire qu'il y a à Marseille une immigration comorienne importante qui est la cause de beaucoup de violences." Le ministre de l’Intérieur avait par la suite "regretté" ses propos.
Un enjeu pour le Parti socialiste
Mise en avant par le gouvernement et les médias, Marseille est mécaniquement devenue un enjeu pour le Parti socialiste dans la course à la présidentielle. Lors de la visite de Claude Guéant fin août, Martine Aubry, alors candidate à la primaire socialiste, s’était invitée dans la cité phocéenne pour "défier" sur le terrain le ministre de l'Intérieur et dresser, devant la presse, un "constat d’échec" de la politique sécuritaire du président Sarkozy. Au même moment, François Hollande estimait "utile" de parler de la sécurité à Marseille, "parce que c’est un échec qu’a connu le gouvernement".
Aussi, lorsque six mois plus tard se confirme un grand meeting de soutien UMP au président sortant, les réactions du PS local ne se font pas attendre. Maire de deux arrondissements de centre-ville, Patrick Mennucci estime ce choix "assez stupéfiant". Et poursuit : "Nicolas Sarkozy avait promis plus de sécurité : à Marseille, ce sont 400 policiers de moins aujourd’hui qu’en 2007", martèle-t-il. Des chiffres tirés d’une étude consacrée au cas de la ville, rédigée pour la Fondation Jean Jaurès par le "monsieur sécurité" du PS, Jean-Jacques Urvoas. Dans l'équipe de campagne de François Hollande, une des premières visites de François Rebsamen, chargé des questions de sécurité, a été pour Marseille. La gauche locale attend donc dimanche Nicolas Sarkozy de pied ferme.