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Un juge d'instruction va enquêter sur la mort des dix soldats en Afghanistan en 2008

Un juge d'instruction va enquêter sur la mort, en 2008, de dix soldats français victimes d'une embuscade à Uzbin, en Afghanistan. Une décision que l'armée ne voit pas d'un bon œil, qui craint la multiplication de nouvelles plaintes.

AFP - Un juge d'instruction va enquêter sur l'embuscade d'Uzbin en Afghanistan qui avait coûté la vie à dix militaires français en août 2008, une décision redoutée par l'armée qui craint une multiplication des plaintes liées à la conduite des opérations.

Le juge parisien Frédéric Digne, saisi de plaintes avec constitution de partie civile déposées par des proches de soldats tués dans l'embuscade, avait décidé d'ouvrir une enquête en mars 2011, mais le parquet avait fait appel. La chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a rejeté cet appel lundi.

Les familles avaient déposé en 2009 une première plainte pour mise en danger de la vie d'autrui et non-empêchement de crime, classée par le parquet, avant de se constituer partie civile devant un juge d'instruction.

Lundi, elles ont salué la décision de la cour d'appel.

"C'est une réaction de soulagement parce que, par l'intermédiaire du procureur, l'Etat a tout fait pour que cette instruction ne soit pas ouverte. Il aura fallu se battre mais on va enfin savoir comment ces jeunes soldats sont morts, comment ils ont été sacrifiés", a déclaré l'avocat de plusieurs familles, Me Gilbert Collard.

"On n'a jamais dit qu'un militaire, quand il endossait un uniforme, n'endossait pas sa mort possible. En revanche, on a toujours dit qu'on n'avait pas le droit d'envoyer des soldats à la mort sans leur donner les moyens de se défendre, sans leur donner les moyens d'échapper à un guet-apens construit par la négligence, par le laxisme de la hiérarchie", a-t-il ajouté.

L'avocat a précisé qu'il allait demander l'audition de plusieurs militaires, celle du prévôt (police judiciaire aux armées), et la déclassification d'un rapport établi sur cette embuscade.

Les familles estimaient lors du dépôt de leur première plainte que les militaires avaient été victimes d'un "manque de moyens évident" et que "certains officiers n'avaient pas été à la hauteur de leur mission".

Le ministère de la Défense n'a pas commenté la décision de la cour d'appel de Paris mais le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, avait récemment prévenu qu'il ferait d'une judiciarisation "excessive" des affaires militaires l'un de ses "points de vigilance" pour 2012.

"Nous, militaires, avons le droit légal d'infliger la mort. La contrepartie, c'est le devoir, le cas échéant, de la recevoir au nom de la Nation", avait-il dit à l'AFP.

"Nous faisons un métier hors normes, c'est la raison pour laquelle nous avons un statut qui n'est pas celui des fonctionnaires", a-t-il expliqué: "Il n'y a pas une spécificité française, il y a spécificité militaire".

"Sinon, dit-il, il n'y aura plus personne pour prendre les décisions".

Le ministère public s'était opposé à une enquête sur Uzbin, expliquant que les faits dénoncés ne constituaient pas une infraction car "il n'apparaît pas que la conception ou la préparation de la mission aient souffert de carences ou de manquements pouvant être mis en relation avec les pertes humaines causées par l'ennemi"

Neuf soldats ont été tués le 18 août 2008 dans une embuscade tendue par les insurgés talibans à l'est de Kaboul. Un dixième avait été tué lors du retournement de son véhicule pendant une "opération de récupération des blessés". Vingt-et-un soldats avaient été blessés dans cet accrochage, à l'époque le plus meurtrier pour les troupes internationales depuis la chute du régime des talibans fin 2001.