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Les pourparlers avec la secte Boko Haram peuvent-ils apporter la paix ?

La nouvelle a surpris de nombreux Nigérians. Le président Goodluck Jonathan a annoncé vouloir connaître l’identité et les revendications de la secte Boko Haram. Mais cette tentative de dialogue permettra-t-elle au pays de retrouver la paix?

Le président nigérian Goodluck Jonathan a laissé de nombreux Nigérians perplexes en annonçant vouloir identifier les militants de la secte islamiste Boko Haram, quelques jours après la série d’attaques meurtrières de Kano, une ville située dans le nord du Nigeria. Au cours d’une interview réalisée mardi dernier par l’agence Reuters, il a en effet affirmé que le dialogue pouvait avoir lieu si les membres de la secte "déclinaient leur identité maintenant et indiquaient la raison de leur combat, la raison pour laquelle ils s’opposent au gouvernement et mettent en péril la vie d’innocents et détruisent leurs propriétés."

Pour la plupart des habitants, c’est une déclaration absurde. L’identité des responsables à l'origine de la mort de nombreux civils depuis des décennies n’est pas un secret. En outre, la majorité d’entre des Nigérians est en mesure d’énoncer les revendications de la secte. Le leader du groupe islamiste, le chef Imam Abubakar Shekau, assure d'ailleurs lui-même sa promotion par le biais régulier de déclarations audio et vidéos.

Fondée en 2002, à Maiduguri dans le nord du pays, Boko Haram, qui signifie dans la langue houassa  "l’éducation occidentale est sacrilège" vise à mettre en œuvre la stricte application de la charia à travers le Nigeria, nation multiethnique qui rassemble plus de 160 millions d’habitants dont des musulmans au nord et des chrétiens et les animistes au sud, principales victimes des attaques de la secte.

Tout cela rend la position de Jonathan bien déroutante

"Si Jonathan croit que par son appel, le groupe Boko Haram va prendre le premier train de Maiduguri jusqu’à la capitale Abuja pour lui parler, je pense qu’il perd son temps", confie Shehu Sani, le président du Congrès des droits civils du Nigeria, au cours d’une interview accordée à FRANCE 24 par téléphone.

Mais ce militant, qui a joué un rôle important dans les pourparlers entre le gouvernement et Boko Haram par le passé, convient néanmoins qu’il y a un message sous-jacent dans les dernières déclarations du président. "L’appel de Jonathan est l’aveu même que l’usage de la force est inefficace", affirme-t-il.

Des négociations : la seule solution ?

La violence soulève les craintes d’une guerre civile dans le pays. Selon Shehu Sani, "beaucoup de Nigérians, parmi lesquels on compte des chrétiens, pensent que les négociations sont le seul moyen de préserver la paix dans le pays. Il y a déjà eu des tentatives dans le passé qui ont échoué faute de volonté du gouvernement."

Pour Shehu Sani, certains membres de Boko Haram étaient disposés au dialogue mais n’ont pas cru que le gouvernement soit capable de répondre à leur demande et ils ont eu raison puisque leurs revendications ont été ignorées par le gouvernement qui a préféré répondre par la force.

La Turquie, un médiateur possible

De hauts responsables nigérians seraient actuellement en négociation avec des membres de Boko Haram, selon les affirmations du Wall Street Journal qui ignore si l’Etat nigérian cherche un pays tiers pour jouer les médiateurs. Shehu Sani reste pourtant convaincu que les médiateurs sont nécessaires à la bonne réussite des négociations. "À ma connaissance, avance-t-il, "je pense qu’il est possible d’avoir un dialogue apaisé si un pays tiers comme la Turquie, le Quatar ou l’Arabie saoudite organise des négociations. Le président du Congrès des droits civils estime que la Turquie pourrait être un médiateur privilégié dans la mesure où les fondements philosophiques et idéologiques de Boko Haram ont été créés à partir des enseignements du sheikh al-islam ibn Taymiyah, un érudit turc islamique du XIIIe siècle qui prônait un retour aux interprétations antérieures du Coran.

Le père fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf, a rendu hommage à ce savant en baptisant le nom de sa mosquée de Maiduguri du nom de ibn Taymiyah, mosquée qui a d’ailleurs été détruite par la suite au cours d’une opération de sécurité.

"Il ment, il ne peut pas le faire"

Abubakar Shekau a fait savoir dans son message audio posté sur Youtube mercredi qu’il rejetait les appels au dialogue du président Jonathan. "Il ment. Il ne peut pas le faire. Il me regarde comme si je n’étais personne, mais il verra", a déclare le chef islamiste.

Martin Ewi, chercheur émérite de l’Institute for Security Studies, situé à Pretoria, maintient que tant qu'Abubakar Shekau contrôlera les tirs, l’espoir d’un dialogue sera compliqué. "Si Shekau est capturé ou tué, on peut penser que Boko Haram se désintègrera et dans ce cas, le gouvernement pourra créer des factions capables de mieux négocier", affirme Martin Ewi, "mais tant que le chef sera là, et respecté de tous, ce sera difficile de désorganiser le groupe". Selon lui, la volonté de dialogue vient surtout de la population et des élites qui poussent Jonathan à négocier même si ce dernier n’est pas vraiment convaincu.

Contrairement à Ewi, Sani est plus optimiste concernant l’ouverture d’un dialogue. Cependant, "imposer la charia à travers tout le Nigeria n’est pas réalisable," explique t-il, mais si le gouvernement parvient à un accord et un cessez-le-feu avec Boko Haram, il pourra avoir petit à petit la main dessus. D'autre part, Boko Haram appelle ses membres à attaquer la police parce que certains d'entre eux ont été arrêtés. Mais si on les libère, il sera plus difficile pour la secte de justifier ses actions."

Reste à savoir si l'acceptation de leurs revendications signera réellement la fin des attaques de Boko Haram.