Un grand nombre de sites ont fermé leur activité mercredi pour protester contre deux projets de loi américains sur les droits d’auteur. Des textes qui, selon les experts, ne concernent pas seulement les Américains.
SOPA par-ci, PIPA par-là... Ces deux projets de loi américains - respectivement le Stop online piracy act et le Protect intellectual property act - visant à renforcer la protection des droits d’auteur n’en finissent pas d’être attaqués par les acteurs du Net qui considèrent ces textes dangereux pour la liberté d’expression en ligne. Une levée de boucliers qui s’est traduite, mercredi 18 janvier, par un vaste mouvement de grève numérique.
Sopa et Pipa sont deux propositions de lois américaines très controversées qui visent à lutter contre le téléchargement illégal et le streaming d’œuvres protégés par le droit américain sur la protection intellectuelle. Elles prévoient une série de sanctions contre des sites accusés par les ayant-droit d’héberger du contenu illégal. La mesure la plus controversée concerne l’obligation qui serait faite aux fournisseurs d’accès ou hébergeurs de pratiquer un filtrage ou un blocage de sites mis en cause, qu’ils soient américains ou non. D’autres dispositions prévoient des amendes financières, le gel des comptes des propriétaires des sites ou encore la saisie des noms de domaine litigieux. Face à la campagne contre ces deux textes, les promoteurs de ces législations ont commencé à reculer sur certains points comme le blocage des sites accusés d’héberger du contenu illégal.
À l’image de l’encyclopédie collaborative Wikipedia, une série de sites américains tels que le populaire portail de partage de liens Reddit ou la plateforme de blogs Wordpress a décidé de suspendre leur portail pour la journée. Leur page d’acceuil a été transformée en un message de contestation. Même Google a mis en place une page spécifique où le géant de l’Internet exprime son opposition à ces deux textes actuellement débattus par les parlementaires américains.
Bien que destinés à ne s'appliquer que sur le sol américain, ces textes inquiètent partout dans le monde. Des sites de plusieurs associations de défense de liberté d’expression comme Reporters sans frontières (RSF), ont ainsi décidé de se joindre au mouvement de grève numérique. Philippe Aigrain, membre fondateur de la Quadrature du Net (site français de défense des droits et libertés sur l’Internet) et figure emblématique de la lutte contre les abus de la propriété intellectuelle, explique à FRANCE 24 en quoi SOPA et PIPA menaceraient les internautes du monde entier.
FRANCE 24 : Pourquoi pensez-vous que le Stop online piracy act et le Protect intellectual property act ne sont pas qu’une affaire américaine ?
Philippe Aigrain : Il faut considérer ces deux textes comme symptomatiques d’une tendance générale des législateurs à travers le monde à mettre en place un contrôle plus étroit sur l’Internet afin de faire plaisir à des intérêts économiques au détriment des libertés individuelles. L’esprit de SOPA et PIPA est, en effet, présent dans des textes - comme l’ACTA (Anti counterfeit trade agreement, le traité international de lutte contre la contrefaçon) et les révisions des directives européennes sur le droit intellectuel et le commerce électronique - actuellement en cours d’adoption et qui concernent tout le monde.
À chaque fois la logique est la même : ces textes obligent les fournisseurs d’accès ou les hébergeurs à filtrer a priori des sites accusés d’héberger du contenu illégal. Ce sont les propriétaires de ces sites qui doivent, par la suite, prouver qu’ils ne sont pas coupables. C’est un dangereux renversement de la charge de la preuve !
F24 : En quoi les internautes qui ne résident pas aux États-Unis pourraient-ils ressentir les effets de SOPA ou PIPA si ces textes sont adoptés ?
P.A. : Si vous vous contentez de surfer sur l’Internet pas vraiment même si certains sites risquent de ne pas être accessibles, mais à partir du moment où vous êtes propriétaire d’un blog ou d’un site les choses changent. En effet, les ayant-droits et grands groupes médiatiques américains peuvent restreindre l’accès à un site aux États-Unis alors même qu’il n’est pas hébergé sur le sol américain. Une possibilité qui peut avoir des conséquences économiques très lourdes car elle signifie que des sites commerciaux ne pourraient, de facto, pas avoir accès au marché américain. C’est une manière d’imposer au monde une vision américaine du droit d’auteur.
Les textes sont, en outre, rédigés de manière tellement flous que, par exemple, même des commentaires sur un blog comportant un lien vers du contenu qui enfreindrait le droit d’auteur “made in America” peuvent justifier le filtrage.
AFP - Un écran noir et cette phrase: "Imaginez un monde où le savoir ne serait pas libre". Pour protester contre des projets de loi antipiratage à l'étude aux Etats-Unis, la version anglaise de Wikipédia était ce mercredi indisponible, tandis que Google.com masquait son logo.
Plusieurs dizaines de sites ont imité les deux géants d'internet, à l'image de Reporters sans frontières qui a fermé, pendant 24 heures, la version anglaise de son site, disant "protester au nom de la liberté d'expression en ligne".
F24 : Mais est-ce que la grève numérique d’aujourd’hui est la meilleure manière de lutter contre l’adoption de ces deux textes ?
P.A. : Ce n’est qu’une initiative parmi tant d’autres. L’opposition à ces projets de loi dure depuis plusieurs semaines aux États-Unis et des juristes, économistes et grands groupes comme Google ou Yahoo ont déjà exprimé leur opposition à SOPA et PIPA. Cet activisme a déjà abouti, la semaine dernière, à infléchir la position de l'administration Obama qui ne soutient plus SOPA.
Le “black-out” permet surtout de toucher un public plus large que celui qui suit l’actualité du secteur de l’Internet. La suspension des sites donne, ainsi, un avant-goût aux internautes de ce que pourrait devenir le Web si ces deux textes venaient à être adoptés. Le fait que des sites non américains y participent prouve par ailleurs que tout le monde se sent concerné.
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