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Memogate : l'affaire qui fait vaciller le pouvoir pakistanais

Affaibli par l’hostilité de la puissante armée pakistanaise et le scandale du Memogate, la présidence de Zardari et le gouvernement de son Premier ministre Gilani ne tiennent plus qu’à un fil. Décryptage d’une crise politique profonde.

Aucune accalmie en vue dans le paysage politique pakistanais secoué depuis plusieurs mois par de vives tensions qui opposent l’armée au président Asif Ali Zardari et à son Premier ministre Yousuf Raza Gilani. Dernier éclat en date, le renvoi du secrétaire d’État à la Défense, le général Naeem Khalid Lodhi, jeudi 12 janvier. Son tort ? Avoir eu de "graves écarts de conduite et [avoir mené] des actions illégales ayant créé un malentendu" entre les institutions du pays. En clair, l’homme est accusé d’être à l’origine des relations orageuses qu'entretiennent aujourd'hui les généraux pakistanais et le président Zardari.

"Ce renvoi est gravissime", juge Alain Lamballe, ancien attaché militaire français au Pakistan, "le général Lodhi est un ami du chef d’état-major de l’armée, le général Kayani. En le limogeant, le Premier ministre pakistanais [Yousuf Raza Gilani] a clairement signifié son hostilité à l’armée."

Le torchon brûle, en effet, entre le pouvoir civil et l'armée - considérée comme toute-puissante dans le pays - depuis le Memogate. Une affaire digne d’un roman policier qui marque une nouvelle étape dans le bras de fer historique que se livre le gouvernement et l'institution militaire - une inimitié constante depuis l'indépendance du pays en 1947.

Le scandale du Memogate

Cette affaire, révélée en octobre dernier, fait aujourd'hui trembler le plus haut sommet de l'État. "Le pouvoir civil y est accusé d’avoir fait passer au Pentagone, en mai dernier, une note secrète - un memo - lui demandant de l’aide pour empêcher un possible coup d’État militaire", raconte Karim Pakzad, spécialiste du Pakistan à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Un appel au secours en échange duquel Washington aurait eu non seulement l’autorisation d’intervenir directement dans le pays pour pourchasser les cadres d’Al-Qaïda mais également un droit de regard sur l’arsenal militaire de la seule puissance atomique du monde musulman.

Une hérésie dans un pays jaloux de sa souveraineté et dont l’opinion publique – récemment scandalisée par une bavure de l’Otan qui avait coûté la vie à 24 soldats pakistanais en décembre - est plus que jamais anti-américaine.

Sans surprise, la révélation de ce memorandum - dans un article du Financial Times, datant du 10 octobre 2011 – a eu un fort retentissement dans le pays. Au niveau diplomatique d’abord : le premier à en faire les frais fut l’ambassadeur du Pakistan à Washington, Hussain Haqqani, soupçonné d’avoir aidé à la rédaction dudit mémo, qui fut contraint à la démission. Au niveau politique et judiciaire ensuite. Profitant de la fragilité du gouvernement, l’armée a porté l’affaire devant la Cour suprême, cette dernière acceptant le 30 décembre, d’ouvrir une enquête.

Rumeurs de coups d’État

Cette décision judiciaire a provoqué l’ire du président en place. Ali Zardari a accusé les militaires d’avoir outrepassé leurs prérogatives. "En agissant de la sorte, la plus haute juridiction du pays a non seulement démontré que les militaires avaient plus de poids que les autorités civiles mais elle a mis le président dans une situation critique." Ce dernier est, en effet, déjà considérablement affaibli par de nombreuses rumeurs pronostiquant la fin proche de son règne par la force - rumeurs formellement démenties par l'armée.

Pourtant, de là à pronostiquer une destitution imminente du président pakistanais, il faut savoir raison garder, estime le spécialiste : "La Cour suprême n'ira pas jusqu'à le faire tomber, ou le condamner pour 'haute trahison' parce qu'elle ne veut pas déstabiliser davantage le gouvernement".

Démission ou élections anticipées ?

Une question reste cependant en suspens : à savoir comment Ali Zardari et son Premier ministre Yousouf Raza Gilani [qui appartiennent tous deux au Parti du peuple pakistanais (PPP)] pourront se sortir de ce mauvais pas ? Dans un esprit d’apaisement, le Premier ministre a appelé à une réunion de la commission de défense du gouvernement samedi 14 janvier à laquelle doit participer le puissant général Kayani. Une main tendue qui n’a pourtant pas empêché l'armée de se réunir à huis clos jeudi 12 janvier pour discuter de "la situation actuelle" du Pakistan. Et ce, alors qu’Ali Zardari était en visite à Dubaï.

"La situation est extrêmement tendue mais pas désespérée", nuance Karim Pakzad convaincu qu'un coup d’état militaire reste une hypothèse chimérique. "L’armée n’oserait pas prendre le pouvoir par la force. Elle perdrait une grande partie de son aura et se mettrait dans une situation délicate face aux États-Unis et à son voisin afghan". Il est davantage probable, selon lui, que cette crise entraînera des élections générales anticipées ou une démission de Zardari. "Pour le bien du Pakistan, le président actuel serait tout à fait capable de se sacrifier politiquement. Pour cela il choisira soit de quitter le pouvoir, soit de s’effacer progressivement pour laisser les militaires prendre les rênes du pays", conclut le spécialiste.