Depuis la mi-décembre, les chiites du Bahreïn essayent de relancer la contestation contre le pouvoir sunnite. Khalil al-Marzouk, porte-parole d’Al-Wefaq, principale formation d’opposition chiite, répond aux questions de FRANCE 24. Entretien.
Depuis la mi-décembre, les chiites, majoritaires parmi la population du Bahreïn, manifestent de nouveau contre la dynastie sunnite des Al-Khalifa qui gouverne le pays depuis plusieurs siècles.
Inspirés par les révoltes arabes du début de l’année, des milliers de Bahreïnis étaient descendus dans les rues des villes du royaume en février et mars derniers pour demander des réformes politiques afin d’instaurer une monarchie constitutionnelle. En réponse, la famille régnante avait maté violemment la contestation avec l'appui des forces saoudiennes et émiraties, appelées en renfort. Malgré la levée, début juin, de l’état d’urgence décrété à la mi-mars, des centaines de chiites ont été arrêtés au cours des derniers mois, y compris de hauts responsables de l'opposition, des médecins, des enseignants et de jeunes activistes.
Fin novembre, une commission d'enquête indépendante, mise en place par le roi du Bahreïn, Hamad Ben Issa al-Khalifa, a pointé du doigt un "usage excessif et injustifié de la force" durant cette campagne de répression, au cours de laquelle 35 personnes ont péri. Elle a également constaté que "la torture a été pratiquée de façon délibérée" à l'encontre des personnes arrêtées, et ce, "contrairement aux ordres" du gouvernement. Les autorités ont dit accepter ces conclusions et le roi a remplacé le chef de la sécurité nationale, un membre de la famille régnante, suite à la publication du rapport.
Petit royaume insulaire, le Bahreïn joue un rôle de premier plan pour les intérêts stratégiques occidentaux dans le Golfe. Il héberge notamment la Ve flotte américaine, en face de l'Iran chiite. Les autorités bahreïnies accusent ce dernier d’attiser les tensions communautaires en encourageant les manifestations contre le pouvoir. Des accusations jugées "ridicules" et "sans fondement" par Téhéran.
De passage à Paris, où il doit rencontrer des représentants des autorités françaises, Khalil al-Marzouk, porte-parole d’Al-Wefaq, principale formation d’opposition chiite, répond aux questions de FRANCE 24.
FRANCE 24 : Depuis quelques jours, la mobilisation de l’opposition chiite semble avoir repris malgré la répression. Comment expliquez-vous ce regain de tension?
Khalil al-Marzouk : La donne n’a pas changé dans le pays. La population a toujours les deux mêmes options : vivre dans la dignité ou l’esclavage. Son choix est évident et il n’est pas question d’un retour en arrière. Nous vivons depuis des dizaines d’années avec ce régime, qui a abusé plusieurs fois de notre confiance en promettant des réformes, sans jamais les appliquer. Un dialogue sérieux doit être ouvert entre l’opposition et la famille royale pour sortir de la crise en répondant enfin aux revendications de la population. Cela consiste à instaurer une démocratie réelle, dans laquelle le pouvoir émane du peuple, le gouvernement est élu, la justice indépendante et les postes attribués selon le mérite de chacun. Nous ne sommes ni l’Egypte ni la Tunisie ; nous voulons le maintien de la monarchie au Bahreïn. Mais nous demandons que tous les pouvoirs ne soient plus concentrés dans les mains du roi et celles de sa famille.
F24 : La mise en place d’une commission indépendante qui a condamné les excès de la campagne de répression n’est-elle pas un signe positif pour l’opposition ?
K. al-M. : Il s’agit effectivement d’une étape importante, mais celle-ci doit être accompagnée de réformes concrètes. Cette commission a rendu son rapport public et l’a remis au roi. Ce document accablant affirme que le gouvernement a tué des personnes, arrêté des activistes, exclu des étudiants de leurs universités, renvoyé des employés et détruit des mosquées. Autant d’actes illégaux qui n’ont pas été réparés. Le roi reste silencieux et le gouvernement incriminé est toujours en place. Il est temps que la violence s’arrête et que les institutions deviennent impartiales afin de garantir les droits de l’Homme dans ce pays.
F24 : Quel regard portez-vous sur l’attitude de la communauté internationale et celle des États-Unis, allié de la monarchie, à l’égard du mouvement de protestation bahreïni ?
K. al-M. : Il est malheureux de constater que les États-Unis forment des alliances avec des dictateurs plutôt qu’avec les peuples. Le président Barack Obama a appelé, du haut de la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre, les autorités à instaurer un dialogue avec l’opposition. Ses discours sont toujours excellents, mais ils ne sont jamais suivis d’actions concrètes. Pourtant, avec davantage de pressions internationales sur le régime, nous pourrions obtenir des changements et plus de démocratie au Bahreïn. La sympathie témoignée par la communauté internationale à notre cause ne suffit pas.
F24 : Les protestataires sont essentiellement chiites tandis que le pouvoir est aux mains d’un monarque sunnite. Où en sont les relations entre les deux communautés dans le pays ?
K. al-M. : Il n’y aucun problème confessionnel entre elles, c’est le pouvoir qui tente de diviser le peuple. Cette stratégie visant à affaiblir la contestation présente les évènements sous le prisme du sectarisme. Or, il existe dans l’opposition des figures sunnites, le premier manifestant emprisonné était justement sunnite. Le problème n’est pas religieux, la population est divisée entre ceux prônant la démocratie et ceux soutenant le régime, parfois par crainte d’être réprimés. La réconciliation viendra naturellement, une fois que les réformes constitutionnelles auront été acceptées.