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À cinq mois de l'élection présidentielle, le parti frontiste cherche à s'attirer les faveurs d'une partie de la communauté juive. Une stratégie politique en rupture avec l'époque de Jean-Marie Le Pen qui inquiète certaines associations.

La scène se passe à Boulogne-Billancourt, en banlieue parisienne, pendant la campagne des cantonales, en février 2011. Thierry Solère, vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine, tend un tract de son parti, l'UMP, à une jeune femme d’environ 35 ans, portant une étoile de David autour du cou. Sa réponse le sidère. "Elle m'a dit : 'Non merci, Sarkozy c’est terminé ! Moi, maintenant, c’est Marine le Pen !'"

Dix mois plus tard - le 11 et 12 décembre - Louis Aliot, actuel numéro deux du parti frontiste, entame une visite à Tel Aviv, en Israël, pour y rencontrer "des Français qui souhaitent connaître le programme de [son] parti". Ce voyage intervient quelques semaines seulement après la brève entrevue aux États-Unis entre la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen, et l’ambassadeur israélien à l’ONU, Ron Prosor.

"De plus en plus de Français de confession israélite rejoignent nos positions", s’enthousiasme Louis Aliot, contacté par France24.com, "Ils sont attirés par les idées de Marine le Pen. Une preuve que l’image d’antisémite qui nous colle à la peau n’existe pas."

"Se racheter une respectabilité"

Serait-ce donc la fin d’un tabou ? C’est en tout cas une démarche nouvelle du FN envers une population autrefois abhorrée par Jean-Marie Le Pen, estime Jean-Yves Camus, spécialiste du nationalisme et des courants d’extrême droite en Europe à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). "Le camp Le Pen envoie des signes particuliers aux juifs. Il essaie de les séduire pour regagner une respectabilité perdue."

Et à quelques mois de l’élection présidentielle de 2012, ce rachat d’"honorabilité" revêt une importance majeure. En s’éloignant du "complot juif" de son père - dont la rhétorique provocatrice a nourri la réputation -, en dénonçant les camps nazis comme le "summum de la barbarie", et en utilisant un discours policé qui pointe les dangers de l’islamisation, Marine Le Pen pourrait réussir à séduire un "petit" électorat juif. "Mais de là à parler de victoire du FN ou d’une nouvelle tendance de vote juif pro- frontiste, il faut savoir raison garder", ajoute le spécialiste de l'extrême droite, "le phénomène reste très marginal."

"La génération FN change, pas les idées"

Marginal et fragile, relève le politologue pour qui la vitrine politique pro-israélienne du FN peut facilement se fissurer. "L’idéologie frontiste de 2011 reste la même que celle de Jean-Marie Le Pen", explique-t-il en insistant sur les dangers du double discours frontiste. "Derrière les belles paroles, les propositions de Marine Le Pen restent dures. Elles visent par exemple à supprimer toutes les subventions accordées aux communautés religieuses, communauté juive comprise", ajoute le politologue. "La génération change, pas les idées."

Un avis que partage Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), contacté par France24.com "Marine Le Pen joue sur un registre électoraliste en s’adressant à la communauté juive. Elle utilise la peur de l’islamisation, de l’insécurité, de la violence. Des thèmes rebattus". Il reconnaît toutefois que ce programme politique ne laisse "hélas" pas toujours indifférent.

"Certains juifs sont déçus par le président de la République et s’inquiètent de sa politique moyen-orientale. Nicolas Sarkozy a par exemple soutenu l’entrée de la Palestine à l’Unesco", explique-t-il. Or, la position de la France envers Israël est capitale pour une grande partie de la communauté juive française. "Entre les déçus du sarkozysme et ceux qui condamnent la politique d'une partie de la gauche et des Verts - qu'ils jugent antisioniste -, certains choisissent parfois de se tourner vers le Front national."

Le vrai visage du FN

Richard Prasquier refuse toutefois de donner trop d’importance à cette minorité "qui se perd dans les amalgames". Selon lui, les citoyens français, qu’ils soient de confession juive ou non, connaissent le "vrai visage du Front national". "L’extrême droite reste un parti dont le maître à penser a toujours été Jean-Marie le Pen et dont l’antisémitisme n’est plus à prouver. Les gens ne sont pas dupes", ponctue-t-il.

Aussi rassurant soit-il, son discours optimiste ne fait pas l'unanimité. Pour Jonathan Hayoun, le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), Marine Le Pen est un danger d'autant plus redoutable qu'elle "n’hésite plus à mettre sur le devant de la scène des frontistes juifs [comme Michel Thooris, jeune juif de 31 ans, investi candidat FN aux législatives 2012, ndlr] alors que derrière de telles personnes se cachent des Gollnish [président du groupe FN au Conseil régional Rhône-Alpes, ndlr] et autres personnalités antisémites notoires".

"Dédiabolisation"

Depuis le début de l’année 2011, l’association étudiante tente donc de sensibiliser ses concitoyens. Sa campagne "Pas une voix juive pour le FN" appelait d’ailleurs à un rassemblement antifrontiste, en mars dernier. "En période de crise économique comme aujourd’hui, les discours populistes sont toujours les discours les plus séduisants", analyse Jonathan Hayoum, le président de l’UEJF. "On ne veut pas s’inquiéter outre mesure, mais on ne veut pas non plus que le Front national se banalise au sein de notre communauté. C’est pourquoi, on n’a pas laissé entrer Marine Le Pen à l’université Paris-Dauphine au début du mois", ajoute-t-il.

"Elle restera persona non grata en France et en Israël", espère l’étudiant. Mais pour combien de temps ? Même le respectable quotidien israélien Haaretz s’inquiète, dans son édition du 7 janvier, de cette "dédiabolisation" du FN et de sa présidente. "Elle est déterminée à faire du Front national un parti respectable. Mais sous l’image lisse et modérée de la fille, ne doit-on pas craindre une menace encore plus insidieuse que celle que représentait son père ?" Réponse en mai 2012.

Photo : Ron Prosor et Marine Le Pen (États-Unis, 4 novembre 2011)