Une équipe de scientifiques des Pays-Bas a mis au point une nouvelle souche hautement pathogène du virus aviaire H5N1 capable de se transmettre aisément d'homme à homme. Une découverte qui suscite la polémique dans le monde de la recherche.
C’est l’une des formes les plus mortelles de la grippe, responsable en 2007 d'une panique mondiale face à la crainte d'une pandémie. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le virus H5N1, reponsable de la grippe aviaire, est à l'origine de la mort de 335 personnes dans une douzaine de pays. Jusqu’à présent, le virus ne se transmettait pas d'homme à homme, mais des animaux aux hommes.
Depuis le 18 septembre, la donne a changé. Le professeur Ron Fouchier, qui travaille au centre médical Erasmus de Rotterdam, est parvenu à créer les conditions d'une propagation entre humains. A l'origine, il ne cherchait en fait qu'à mieux comprendre le virus afin de mettre au point des traitements plus efficaces. Lors de la quatrième Conférence européenne sur la grippe qui s'est déroulée en septembre à Malte, il a présenté ses recherches menées en laboratoire sur des furets, des cobayes proches du modèle humain. Son équipe est parvenue à réaliser des mutations qui rendent le H5N1 facilement transmissible entre les mammifères. “Aussi facilement qu’une grippe normale”, selon Ron Fouchier.
Arme biologique
Depuis, l'annonce suscite l'émoi de nombreux scientifiques. Selon Thomas Inglesby, le directeur du Centre pour la biosécurité de l'université de Pittsburgh (Pennsylvanie) qui s'exprimait en marge de la conférence, "l'idée de transformer un virus mortel en virus hautement contagieux est mauvaise". “Nous devrions mettre au point une meilleure supervision des recherches potentiellement très dangereuses comme celle-ci”, a ajouté John Steinbrunner, directeur du Centre de recherche internationale et de sécurité du Maryland. Selon la radio publique américaine NPR, même le Conseil national scientifique américain sur la biosécurité a demandé à regarder de plus près les résultats des expériences du professeur Ron Fouchier.
“Il est normal que les services de sécurité cherchent à vérifier ce type de découverte car le virus H5N1 peut servir d’arme biologique”, rappelle à France 24 Vincent Enouf, spécialiste des virus à l’institut Pasteur. L'OMS souligne que la grippe aviaire est mortelle dans 60% des cas. “Pour l’instant, seule une forte exposition avec des animaux porteurs de la maladie peut entraîner une transmission à l’homme”, souligne Vincent Enouf. La perspective d’une souche du “super H5N1” développée au centre Erasmus de Rotterdam qui serait lâchée dans la nature inquiète sérieusement la communauté scientifique.
Publier ou ne pas publier ?
Pourtant, les recherches menées par Ron Fouchier révèlent que cette trouvaille est peut-être nécessaire. Ce que le scientifique de Rotterdam a réalisé peut, en effet, se produire dans la nature. “Pour arriver à rendre le virus transmissible de mammifère à mammifère, il a fallu que cinq mutations de la souche interviennent en même temps. Et ces cinq mutations s'étaient déjà produites dans la nature, mais jamais encore en même temps”, explique Vincent Enouf. sa découverte peut permettre de se préparer à l'éventualité où la même mutation se produirait dans la nature.
Grâce aux recherches de Ron Fouchier, les scientifiques peuvent tester si le vaccin qui existe actuellement contre le H5N1 est également efficace contre cette nouvelle forme du virus, “ce qui n’est pas du tout évident”, précise Vincent Enouf. Des nouvelles pistes de recherche qui pourraient justifier une publication des travaux de Ron Fouchier dans une revue scientifique. La possibilité d'une telle révélation publique soulève des réticences. “Ce n’est pas une bonne idée de mettre entre d’eventuelles mauvaises mains les éléments qui permettraient de copier l’expérience menée par Ron Fouchier”, estime Thomas Englesby. “La publication peut être utile, mais il ne faut pas révéler tous les détails de l’expérience”, juge, quant à lui, Vincent Enouf.
Ron Fouchier aurait, selon le site NewScientist, soumis ses travaux à la revue américaine de référence "Science" qui l’aurait refusé pour des raisons de sécurité.